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Le journal Off du poker

4 septembre — S'asseoir à la table du parrain du poker

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Le monde du poker a longtemps été l’un des plus accessibles, médiatiquement parlant. Au début des années 2000, alors que le « phénomène Moneymaker » commençait tout juste à porter ses fruits, les stars du milieu se faisaient chaque jour, au gré des tables finales du World Poker Tour —l’émission la plus populaire de l’époque—, des émission « invitational only » et des sponsorings soudains (un logo en table finale, négocié à plus de 10 000$, pour le moindre anonyme prêt à vendre un coin de sa casquette et son t-shirt à une des rooms online en pleine explosion.

Les années d’or (de platine, plutôt) s’en sont suivies : des Team pro regorgeant de champions locaux, joueuses plus ou moins jolies gagnantes d’un vague Ladies ou arrivées en table finale d’un quelconque crapshoot, titulaire d’une belle performance en EPT, WSOP ou WPT, etc. Le moindre contrat, à six chiffres, permettait de se payer une année de Main Events de tous les tours les plus importants, dans une approche relativement bon enfant, les sponsorisés d’une room online étant autorisés à jouer dans les tournois organisés par des concurrents. Les logos ? Absolument illégaux, mais tolérés dans ce flou caractéristique des activités parallèles, le poker étant médiatisé, mais encore peu présent dans le spectre d’inquiétudes des gouvernements.

Au beau milieu de ces cohortes d’idoles d’un jour, quelques mythes vivants. Ceux de la première génération télévisuelle, bien sûr, comme Phil Ivey, Gus Hansen et consorts, mais aussi les prédécesseurs Phil Hellmuth, Johnny Chan, Men The Master, Scotty Nguyen. Et, incontournable, Doyle Brunson.

Stetson rivé sur le crâne, Doyle est un vétéran qui a tout vécu. Icône de la génération des « road gamblers », ces Texans sans attaches ni fidélité aux lois parcouraient, infatigables, les routes américaines à la recherche du pigeon, d’une table juteuse, d’une arnaque plus ou moins directe à monter, d’une partie de poker à raser. Des chercheurs d’or des temps modernes (après-guerre, principalement), toujours armés pour faire face aux nombreuses attaques fomentées contre ces parties privées (parfois avec l’accord de l’organisateur) et jouant en équipe pour limiter les risques, à la fois physiques et en terme de bankroll.

Brunson, ancien champion de basketball, fauché en pleine gloire montante par des problèmes d’articulation et osseux, obligé de chercher l’action et le « juice » dans un autre monde, celui du gambling —comme de nombreux compétiteurs ensuite, qui suivront sa voie. Le Texan ne voyageait pas seul, flanqué d’Amarillo Slim, le plus grand arnaqueur et gambler au monde, prêt à parier sur tout et à n’importe quel prix, mais aussi Brian Sailor Robert. Une armée de Texans, prêts à en découdre en toutes circonstances, aux limites de la légalité, partant rapidement des états visités et ruinés pour éviter goudron et plumes.

Des décennies plus tard, le poker avait besoin d’un référent historique. Tout en Brunson respire le jeu, le rêve américain, l’histoire du poker de cash-game, le caractère libéral-libertaire d’une pratique qui semble couler dans le sang de l’Amérique. Sa région de naissance ? Le Texas, comme le Hold’Em. Sa religion ? Après Dieu, la liquidité et la liberté. Son histoire ? Installé au Dunes puis au Bellagio depuis des années, familier des parties privées avec Larry Flint ou des parrains colombiens, ami pour la vie avec Chip Reese, son descendant direct aux tables de poker, Doyle Brunson a participé à la création des World Series avec la famille Binion, aidé et combattu Stu Ungar et ses démons, tiré au Smith & Wesson face à des agresseurs, joué des centaines de millions de dollars au sports-book, cherché l’action la plus belle, la plus chère, la plus forte dans toutes les villes des Etats-Unis.

En 2012, Brunson est un survivant. Respecté par les jeunes générations des années 2000, il reçoit le même respect de la part des géants du online et du live, Tom Dwan et Jason Mercier en tête. Son corps, maigri après des années de surpoids made in America, est une géographie du siècle : un océan de rides, un corps détruit par le sport et les nuits blanches au cash-game, un regard toujours d’acier, un large sourire carnassier récemment ripoliné, des mains toujours assurées, en pince, pour saisir les cartes et les jetons. Depuis la mort de Chip Reese, plus jeune que lui de plusieurs dizaines d’années, tout a changé : Doyle a perdu foi dans le quotidien, enterrant celui qu’il pensait lui succéder. Amarillo Slim, vieux compagnon de route ostracisé pour des problèmes judiciaires personnes, est lui aussi six pieds sous terre depuis quelques mois ; Brunson l’aura toujours aimé et soutenu jusqu’au bout, face à des médias allant vite en besogne, brûlant les icônes passées et délavées par l’épreuve du temps et des générations de joueurs.

Désormais, Doyle vit simplement, entre le Big Game du Bellagio, dans la Bobby’s Room de son ami Bobby Baldwin, et sa maison des faubourgs de Vegas ou celle de son fils, sur les hauteurs du Montana. Plus rien, ou presque, ne le motive. Les tournois ? Trop longs, trop enclins à la variance, trop fatigants pour un septuagénaire qui n’a de passion que le jeu, surtout le poker hors Texas Hold’Em. Comment, après ces déferlantes de billets se brisant sans cesse sur son destin pendant un demi-siècle, Brunson trouve-t-il encore l’excitation de s’asseoir à une table, même celle du Big Game ?

Lorsqu’en ce matin de juin 2012, Brunson arrive sur son scooter électrique dans la salle privée du Bellagio, la partie n’est pas encore commencée. Greg Mueller, Johnny Chan, Barry Greenstein et Brian Rast attendent Brunson et Jennifer Harman. Le « parrain du poker » a accepté, grand prince, de faire un entretien avec nous, grâce à Bruno Fitoussi, partenaire de cash-game depuis des années, et seul Français avec David Benyamine à pouvoir parler directement à Doyle. Non pas que Bruson soit hautain ou se cloître dans un quelconque silence calculé : il n’a plus de goût à la vie, et seul le bruit des jetons du mixed-game de la Bobby’s Room le font lever chaque matin pendant les World Series. Quelques dizaines de minutes face à celui qui fait et symbolise toujours le poker moderne. Remonter le temps jusqu’au Grand Ouest et ses parties d’arrière-salles ; passer par le tourbillon de cocaïne qui a brisé Las Vegas et ses high-rollers, Stu Ungar en tête, pendant les années 1980s ; évoquer la grande famille des Texans et, en particulier, la dynastie Binion’s ; se souvenir, la gorge nouée, de Chip Reese et de son apparition lors d’un week-end de vacances au Big Game du Dunes, depuis remplacé par le Bellagio sur le Strip ; balayer les années online, stoppées par le Black Friday ; exprimer son amour immodéré pour le poker, son action, son adrénaline ultime. Dans quelques minutes, Doyle Brunson se relèvera du fauteuil disposé dans la Bobby’s Room où nous finissons notre entretien ; le bruit des jetons l’appelle.

Jérôme Schmidt

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[WiPT Paris – Journal off] Comme un joueur

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Comme un joueur, j’ai cru en mes chances. Cédé à l’ennui de la mi-journée pour buy-in un satellite à 100€, et le gagner, à force de cartes folles.

Comme un joueur, j’ai enchaîné directement par un turbo Day 1 pour le Main Event. Comme un joueur, je suis allé prendre l’air, respirer une dernière fois avant d’entrer dans l’atmosphère de néons blancs et de hangar des salles de tournoi.

Comme un joueur, j’ai enfoncé mon casque, mis en boucle le même morceau lancinant, j’ai dit bonjour au croupier, en anglais ou français selon leur nationalité, j’ai recouvert le babil de mes adversaires des premiers niveaux par un drone en différence et répétitions, j’ai occulté le monde extérieur pour trouver un rythme intérieur.

Comme un joueur, rénégat cette fois, j’ai dû rendre mon accréditation presse au responsable du tournoi, histoire de déiontologie. Comme dans un (mauvais) film policier français, où un flic corrompu dépose pistolet en holster et médaillon de flic sur son bureau, avant de repartir avec son carton vide sous le bras.

Comme un joueur, cela m’a passablement agacé, alors je suis resté concentré. Au lieu d’aller avaler une pizza cartonneuse (18€) ou un « hamburger édition spéciale Johnny Halliday » (26€) dans les rades de cette porte de Paris, j’ai fait le tour à grandes enjambées des autres espaces du salon, pour rester dans ma (toute petite) bulle.

Comme un joueur, j’ai tenté un re-steal en grosse blinde avec une main pourrie (3-8 offsuit), payé debout sur la table par un relanceur avec paire de Dame. Comme un joueur, je suis retombé à une vingtaine de blindes, et j’ai attendu maussade qu’on oublie mes move débiles.

Comme un joueur, j’ai eu trois paires de suite, et comme un joueur, on a fini par me payer, et j’ai triple-up, et je me suis dit que j’étais vraiment le meilleur, et que plus rien ne pouvait m’arriver.

Comme un joueur, j’ai passé le Day 1, je suis entré dans l’argent, et comme un joueur, j’ai regardé le payout des places finales, imaginant ce que je ferais de l’argent vu que je finirais dans le Top 3.

Comme un joueur, j’ai ignoré les injonctions des amis m’enjoignant à « aller me reposer », et au lieu de cela, je suis allé à une fête prévue de longue date. Comme un joueur, je me suis réveillé à 2h30 du matin dans un bar qui passait du métal à 120db, et je me suis dit qu’il était temps de rentrer, peut-être.

Comme un joueur en gueule de bois, j’ai dépensé mes derniers euros en bouteilles de badoit glacée, je les ai bues d’affilée en attendant le début de la deuxième journée de tournoi, mâchonnant deux pommes pour couvrir mon haleine frelatée. Comme un joueur, j’avais envie d’être autre part, et puis a résonné le lancement de cette deuxième journée, et j’ai branché mon casque au téléphone, puis la musique a redémarré, et les premières cartes sont arrivées.

Comme un joueur, Caroline Darcourt m’a pris en photo, et j’étais plutôt content, même si je déteste ces moments, car Caroline a cette empathie qui rend chacun désirable sous son objectif.

Comme un joueur, j’ai fait ami avec mon voisin de table, avant de lui prendre un gros coup, et comme tous les autres joueurs autour, j’ai maugréé à chaque fois que nos tables étaient cassées, et comme un joueur, j’ai foldé, foldé, foldé, puis foldé à nouveau.

Comme un joueur, en huit heures de jeu, j’ai touché une seule paire (de 7, qui touche brelan au flop, et me propulse bien au-delà de l’average), pas une seule main au-dessus d’As-Dame offsuit, et comme un joueur qui regarde les autres joueurs, j’ai du voler la plupart de mes pots, pour attendre un ailleurs plus souriant.

Comme un joueur, j’ai fait le bluff le plus pourri du monde, et comme en face un joueur avait les As en main, j’ai dû faire une horreur pour le sortir. Comme un joueur, j’ai balbutié quelques mots ridicules, car on ne sait jamais comme consoler un autre joueur d’une petite mort imméritée. Comme un joueur, j’ai fermé les écoutilles pour ne pas entendre les moqueries des autres.

Comme un joueur, j’ai attendu et rebondi, j’ai passé un (beau) coup à un semi-pro imbu de lui-même, et je lui ai montré mes cartes car je suis moi aussi un joueur imbu de moi-même.

Comme un joueur, j’ai checké un inconnu après un beau coup, comme un joueur, j’ai écouté mes semblables déverser leurs bad beat, comme un joueur, je les ai entendus se justifier de leurs moves les plus absurdes, comme un joueur, j’ai demandé à mes voisins de table si j’avais bien joué mes mains, histoire de savoir comme eux le feraient.

Comme un joueur, à la pause, je me suis précipité recharger mon téléphone, j’ai fait la queue interminable dans des toilettes saturées, et comme un joueur, j’ai tout fait pour ne pas les entendre parler de re-buy, de tournois high-roller ou de side-events.

Comme un joueur, à environ 100 joueurs left, j’y ai cru encore plus, car j’avais bien au-dessus de la moyenne, car le rythme à table était calme, car j’avais tout le temps du monde et une gueule de bois oubliée dans les effluves de sueur aigre des autres joueurs.

Comme un joueur, j’ai complété un min-raise de la petite blinde, en big blinde, avec 9-10 de coeur. Comme un joueur, j’ai vu apparaître un flop agréable, Dame-Valet-2 offsuit. Comme un joueur, j’ai misé les 2/3 du pot, comme un joueur, mon adversaire, qui avait checké, a payé. Comme un joueur, j’ai vu un turn apparaître, avec rien de plus à l’horizon. Comme un joueur, j’ai check-back pour voir une carte gratuite. Comme un joueur qui voit la lueur au bout du tunnel, j’ai vu un Roi arriver. Et un tapis face à moi. Et comme un joueur avec la deuxième meilleure main possible, je n’ai pas hésité, et j’ai eu une montée d’adrénaline mal identifiée. Comme un joueur qui envisageait de perdre, j’ai payé, et j’ai perdu. As-10 pour une quinte supérieure. Comme un joueur, je viens de vous raconter mon badbeat.

Comme un joueur qui venait de buster, je suis parti l’air vaguement détaché, alors que j’étais agacé, déçu, énervé —contre moi, surtout, mais bien sûr contre le monde entier, car l’enfer, c’est les autres. Comme un ex-joueur, j’ai été toucher mon gain (1750€), et comme un joueur, j’ai fait la liste de ce que cela m’offrirait —une paire de chaussures trop chères, une montre ancienne, un restaurant japonais— et comme un joueur, j’ai rapidement calculé qu’il y en aurait pour bien plus que cela.

photographie Caroline Darcourt pour Winamax

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Autres tournois

[WiPT Paris – Journal off] Tout peut arriver

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La musique du hasard est celle qui sert de bande originale à tous les casinos, clubs, cercles, clandos, parties privées, écrans d’ordinateurs du monde entier. Elle résonne comme une ritournelle, change en intensité au fur et à mesure que l’odeur de l’argent entête nos sens, se fait plus strident au moment du couperet de la bulle, puis repart en drone lancinant jusqu’à ce que les vraies places payées (voire les places vraiment payées) se découpent dans l’horizon.

Dans la vie, tout peut arriver, non ? A la table de poker, c’est un pré-requis. Prenez Suat Uyanik, hier soir, au Day 1D, façon Turbo, du Main Event de la finale du WiPT. Réduit à quelques jetons, à peine une grosse blinde, ante non comprise, il part à tapis avec 2-10 de pique, contre une paire de Rois. Flashforward, deux heures plus tard, le voilà quasi-chipleader de la journée, sans être passé par la case re-entry. Entre temps, le 10 avait fait brelan, son tapis avait doublé, puis doublé, puis doublé, puis… Le tempo du hasard s’était accéléré, avait réinjecté un peu de vie et de grinta à celui qui s’était déjà levé et avait enfilé sa veste.

Au poker, tout arrive. Des champions multi-médaillés en viennent à quémander des buy-ins pour midstakes. Des As du online, adulés par des générations de spectateurs, sont jetés à l’opprobre publique pour n’honorer aucune dette et piétiner l’honneur de leurs créanciers. Ce qu’on leur reproche, finalement, n’est pas cette attitude moraliste qui vaut que toute dette doit être remboursée. Qui se fiche bien de savoir si Haralabob Voulgaris, quasi-milliardaire du betting américain, a bien été remboursé de quelques centaines de milliers de dollars par Tom Dwan ? Non, ce qui choque, ce qui blesse, ce qui heurte au plus profond de nous, c’est que ces héros tant admirés, ces bluffs fous et si bien construits qu’ils nous ont agités devant le nez n’étaient qu’instants de pure intensité, prélude à la musique bien plus banale du hasard et du (mauvais) coinflip. Si nos héros nous trahissent, en qui peut-on encore faire confiance?

Et demain, une fois que les quelques 500 joueurs (approximativement puisque le record de 3000 inscrits a déjà été dépassé au moment où nous écrivons ces lignes, et que 16% du field se hissera en Day 2, dans l’argent) auront repris leur place, tout arrivera. Des shortstacks d’une demie blinde entameront une remontée fracassante, parfois brisée en plein vols ; des joueurs à l’aise feront le squeeze de trop, se prendront le mur d’une mauvaise « rencontre »/set-up ; d’autres partiront en maugréant qu’ils « avaient l’équité de toutes façons ». Vu que tout peut arriver, autant s’y préparer.

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[Finale WiPT Paris — Journal off] La Familia grande

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« Toutes les familles sont dysfonctionnelles, non ? » plaisantait un ami qui écoutait patiemment son confident du jour au restaurant, à la table jouxtant ma solitude de mi-journée. Sans me retourner, j’aurais pu opiner du chef : toute organisation sociale, humaine, est par essence dysfonctionnelle, bancale, en ébullition constante, au bord du précipice mais, miracle d’un grand ordre invisible, tout se passe le plus souvent assez bien.

Le monde du poker ne déroge pas à la règle. Le poker, une grande famille ? Bien évidemment : dans ses travers comme ses passions, dans ses relations et ses antagonismes, dans ses concurrences et ses alliances. Pour les « vieux de la vieille » qui ont connu le début du poker en France —amené, d’un côté, par Bruno Fitoussi au sein de l’Aviation Club de France, il y a plus de trente ans ; de l’autre, au grand public, par Patrick Bruel et le WPT puis la room maison, Winamax—, cette famille dysfonctionnelle a bien évolué, même si la plupart des acteurs de l’époque sont encore présents.

Contrairement au mondes des joueurs où les disparus jonchent les rivages mémoriels de ceux qui écumaient les cercles de jeux de l’époque et les premiers tours européens (à l’époque, c’était Amsterdam qui faisait figure de Graal des tournois du vieux continent), le business du poker se recycle et perd peu de forces vives. Il y règne, justement, un esprit de famille. Tout le monde, ou presque, a travaillé avec l’autre. Tout le monde se connaît. S’ignore ou se jauge, s’embrasse ou se charrie. Une famille, avec ses générations, ses cousins par alliance et ses branches éloignées. De l’époque des cercles de jeux, cette grande famille a gardé bien des acteurs, depuis essaimés au sein des clubs parisiens ou chez les casinotiers. L’heure n’est plus aux troubles financements des ces Associations de Loi 1901 sans but lucratif (un bon résumé de la quadrature du cercle de l’époque), mais aux sociétés commerciales clairement gérées. La « guerre des cercles » qui avait fait les choux gras de la presse police/justice est depuis longtemps remisée dans les archives familiales du poker. Désormais, même si la concurrence entre clubs est réelle, comme pour tout secteur commercial, la plupart du temps les calendriers de tournois sont décidés en toute intelligence, et sans guerre frontale. La famille a muri, elle s’est assagie.

Côté rooms online, le marché s’est lui aussi stabilisé, et même si les trois gros opérateurs français n’organisent pas encore des tournois tous ensemble —on n’a pas, à notre mémoire, de tel exemple dans l’histoire internationale du poker— il existe un podium désormais solide en terme de marché. Winamax, numéro 1 francophone, a plié le game, évité les rachats et offres agressives de l’international, et gère avec l’esprit de famille sa société. Il suffit d’entrer dans une salle de tournoi brandée W pour croiser des têtes habituelles depuis bien des années. Les fondateurs sont encore en place, l’équipe éditoriale et marketing est profondément soudée aux racines de la société. Une famille multiple, qui occupe plusieurs étages, mais qui fonctionne à dimension humaine.

Côté tournois live, c’est avec le même sentiment de famille que Texapoker fonctionne. Au-delà du père fondateur, taiseux et professionel, généreux et discret, qu’est Apo Chantzis, on croise ses fidèles lieutenants depuis des années, toujours aux postes, et même son propre frère. Une famille sur la route, comme une caravane de cirque qui s’arrêterait à chaque ville que la France et ses diagonales de la suburbia proposent, déplie ses tables, affiche ses logos et drapeaux, remise ses costumes et ses noeuds papillons pour offrir un spectacle rodé et affûté, chaque soir, avant de repartir vers d’autres horizons.

Les salles presse sont habitées du même sentiment de familiarité. Que l’on entre dans la salle presse du World Poker Tour au Wynn à Las Vegas, tout en marbre rose et moquette épaisse, ou dans celle du WiPT, au fond du grand hangar de la porte de Versailles, on croise des profils qu’on voyait déjà lors de nos propres débuts, en 2005, dans les couloirs réfrigérés de l’Amazon Room au casino Rio à Las Vegas. Bien sûr, les corps se sont épaissis avec les années, les cheveux ont disparu ou grisonnent discrètement, mais les mêmes amitiés et inimitiés y règnent. Les rumeurs et les disputes, l’entraide et les mesquineries, les coups de main comme les paranoïas y ont la même place que dans n’importe quelle branche de la société. Comme dans une familia grande il n’y a pas de raison de revenir en arrière quant à ses propres jugements hâtifs. Le temps n’efface rien, tout au mieux laisse-t-il à chacun d’écrire ses propres vies, loin des tapis verts : l’un est devenu romancier à succès, l’autre a affronté la société bourgeoise du cinéma de la FEMIS et rêve de long-métrages, certains vivent leur passion de gloire et d’autres de famille. La famille est grande, élastique, multi-dimensionnelle, et accueille à chaque nouveau stop quelques têtes encore inconnues. Les prochaines générations, elles, ont encore le temps de se créer leurs propres embrouilles et drama intimes.

Jérôme Schmidt

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