Directeur général et administrateur de la Société Fermière du Casino Municipal de Cannes (SFCMC), qui gère entre autres les casinos cannois Le Barrière Croisette et Les Princes, Alain Fabre est réputé pour sa grande connaissance du secteur des jeux et pour son franc-parler.
Poker52 avait donc au moins deux bonnes raisons de partir à sa rencontre. Il nous livre dans cet entretien son analyse de la situation des casinos en France suite aux mesures sanitaires adoptées pour faire face à la crise du covid-19. Sans gants ni masque.
Poker52 : Comment s’est passé le confinement dans les deux casinos que vous dirigez ?
Alain Fabre : Ça a été une période très dure. Nous avons vécu au jour le jour et ne disposions d’aucune visibilité. Comme tout le monde bien entendu. Mais je suis connu pour mon franc-parler et pour dire les choses alors je ne vais pas pratiquer la langue de bois. J’ai passé mon temps entre des CSE (Comité Social Economique, ndlr) et des réunions de direction, avec notre président Dominique Desseigne. On a souffert et ça n’est pas fini !
Poker52 : Le ciel azuréen commence à se dégager. Comment se passe la réouverture depuis le 2 juin ?
Alain Fabre : Nous avons dû mettre en place toute une batterie de mesures pour protéger à la fois nos personnels et nos joueurs.
Pour le moment, c’est le calme plat et nous verrons d’ici la fin juin comment la situation aura évolué et ce qu’il nous est possible de proposer.

Poker52 : Justement, quelles mesures ont été prises ?
Alain Fabre : Le catalogue est incroyablement long. Bien entendu, nous avons installé un parcours pour limiter les croisements de flux, mis à disposition des colonnes de gel hydro alcoolique, mis en place des cloisons de séparation entre les machines à sous. Nous disposons de la plus belle offre de jeux électroniques du département et les désinfectons à chaque passage. Une machine à sous sur deux est éteinte et peut être mise en service à la demande du joueur, avec pose d’une cloison de séparation.
Pour gérer toutes ces nouvelles contraintes, nous avons dû recruter de nouveaux personnels. Le surcoût est considérable, alors même que nos recettes s’effondrent.
Poker52 : Quelles conséquences concrètes pour votre groupe ?
Alain Fabre : C’est bien simple, je pense que nous allons clôturer l’exercice comptable fin octobre avec une baisse de l’ordre de -30 à -40% de notre chiffre d’affaires.
La situation nous prive de la clientèle des congrès (Cannes est la seconde ville de congrès après Paris) ainsi que de notre clientèle internationale. Et notamment de la clientèle moyen-orientale.
Notre avenir va fortement dépendre de la situation au cours des mois d’été. Juillet et août sont nos deux plus gros mois, en terme d’activité. Si ces clients du Moyen-Orient sont empêchés de venir à Cannes, par le maintien de la fermeture des frontières ou des consignes émanant de leurs Etats, alors nous n’avons pas fini de souffrir.

Poker52 : Et pour le poker, quelles mesures peuvent être prises pour permettre la réouverture du cash-game ?
Alain Fabre : Tout dépendra un peu de la sauce à laquelle on va être mangé. Si nous pouvons avoir seulement 5 joueurs à table, nous ne gérerons pas l’offre de la même façon que si nous pouvons en accueillir 8. Ce n’est pas tant une question de rentabilité de la table, mais tout simplement de possibilité matérielle. On ne peut pas pousser les murs, même à Cannes !
Poker52 : Vous avez du vous résoudre à annuler le festival des WSOP-C au Cannes Croisette (prévu du 9 au 20 avril dernier). Quand pensez-vous pouvoir accueillir à nouveau ces prestigieux tournois internationaux ?
Alain Fabre : Malheureusement, nous n’avons rien de prévu pour le moment. Le calendrier initial pour 2021 est maintenu en l’état, mais nous n’avons aucune autre programmation en attente. J’ai une pensée pour tous les prestataires avec lesquels je travaille tout au long de l’année et qui pour certains sont devenus des amis, comme Apo (Apostolos Chantzis, patron de Texapoker, ndlr).
Je comprends le principe de précaution mais quand on voit comment se passe le déconfinement, on croit rêver !
Poker52 : De manière plus générale, considérez-vous ces évolutions comme une simple parenthèse liée à une crise ponctuelle ou bien la situation interroge-t-elle plus globalement votre modèle d’offre ?
Alain Fabre : Pour moi, c’est une parenthèse. Et le plus vite je pourrai la refermer, le mieux je me porterai ! Bien sûr, il y aura toujours une leçon à tirer d’une expérience comme celle que nous venons de traverser. On aura su s’adapter, faire preuve de solidarité, élaborer des systèmes D.
Mais si demain vous me dites que je peux rouvrir mes établissements comme avant, soyez sûr que je le fais dans la minute.
Poker52 : Et si vous aviez l’oreille du gouvernement, quel message souhaiteriez-vous lui transmettre ?
Alain Fabre : Tout simplement qu’on nous laisse travailler ! Il faut arrêter cette mascarade, soyons lucide. La crise sanitaire est derrière nous, alors que la crise économique et sociale, elle, est bien devant. J’ai connu la crise de 2008 et je vous parie que 2008, ce sera du pipi de chat en comparaison de ce qui nous attend. Les conséquences seront sans commune mesure. On a sacrifié l’économie pendant deux mois et on ne peut pas encore évaluer les dégâts sur le moyen et le long terme.
J’ai été personnellement touché par la crise. Dans mon entourage familial, j’ai déjà deux proches qui sont sur le point de déposer le bilan. La crise pèse sur tout le monde. Il faut arrêter l’hémorragie et reconstruire notre économie, notamment dans le secteur du jeu.
propos recueillis par Martin Garagnon