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Le journal Off du poker

[Journal Off des WSOP — 9 juin] La solitude du couvreur de fond

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Lancés dans la course au titre, au bracelet ou simplement à une litanie d’ITM, le joueur professionnel vient à Las Vegas chaque année avec des rêves de grandeur ; il en repartira éreinté, riche en millions ou ruiné pour l’année, tant le grind des dizaines de tournois, couplé aux nuits blanches de fête ou de doute, vient à bout de toutes les volontés. Les WSOP sont une course de fond, de celles où il faut sans cesse vérifier la jauge d’énergie, réinitialiser ses attentes et ses stakes. Lancé dans cette quête où tout peut basculer à chaque moment, l’amateur ou le pro se remet à un cadrage —physique, en multipliant les séances en salle de sport ; psychologique, avec coach mental ; technique, à refaire les mains comme dans un cauchemar éveillé— pour tenter de rationaliser ce qui ne peut l’être : une carte qui tombe mal, un call improbable. Tout était sous contrôle, jusqu’à l’accident. Buster. Buy-in. Day 2. ITM. Table finale. Parfois, la course se finit par la victoire.

Au beau milieu de ces hordes de coureurs de fond au physique parfois assez peu sportif, les couvreurs jouent des coudes. Au fil des années, pourtant, ceux qui font vivre à distance l’intensité de la compétition sont devenus presqu’un curiosa, une survivance d’un âge d’or du poker où les rooms investissaient à tour de bras pour faire parler d’elles, même si la plupart opéraient illégalement. Au mitan des années 2000, en pleines années post-boom du poker, les WSOP représentaient une marque surveillée de toutes parts, un gâteau que les exclusivités médiatiques rendaient quasi inapprochable : ESPN, le bouquet du câble spécialisé dans le sport, avait l’exclu des images vidéo, montées en émission ultra-populaires et diffusées un peu plus tard ; PokerNews, qui avait pris la suite de Card Player et assurait un coverage quasi exhaustif avec des équipes grandissant d’années en année. Au beau milieu de toute cette armada d’équipes Made In Usa, il fallait se frayer un passage pour faire entendre la voix de médias plus alternatifs.

En 2006, le tournage du long-métrage documentaire That’s Poker pour Arte (France/Allemagne) et CBC (Canada) se faisait dans des conditions absurdes imposées par ESPN : 5 minutes de présence d’une caméra par jour, chronométrée par des garde-chiourmes stressés par l’enjeu ; 3 minute de tournage effectif, là encore chrono en main. Côté presse, c’est la première année où un jeune journaliste du nord de la France, Benjamin « Benjo » Gallen posait son laptop dans la salle presse réservée aux couvreurs en herbe, assurant un suivi multi-plateformes pour WAM (futur forum de Winamax), Made in Poker et Poker.fr. 17 années plus tard, il dirige une petite armée de journalistes comme lui, pour Winamax, seule room à encore investir dans l’éditorial pour ce grand évènement. Une approche quasiment unique dans le monde du poker qui a, au fil du temps, privilégié l’immédiateté, le temps réel —via le streaming de tables finales, la mise à jour via smartphone des stacks, les twitter spaces, etc.

A chaque édition sa nouveauté technologique, qui disparaît souvent aussi vite qu’elle n’est arrivée : d’outil éditorial à gagdet inutile, le coeur balance. Certains se souviendront encore des vagues « Periscope » assurés par certains couvreurs en manque de selfie, tandis que les vidéos parodiques ou humoristiques, façon capsule, rencontrent un succès aléatoire. Le contenu lourd, lui, est rare. Non pas que le poker ne soit pas matière à réflexion, anecdote ou mythologie : on se souviendra tous de grandes épopées écrites par des journalistes comme Chad Holloway, Nolan Dalla —alors directeur média des WSOP, jusqu’au milieu des 2010s—, Brad Willis, Paul McGuire ou Benjamin Gallen. Des textes au souffle littéraire, des vies dévoilées, des trajectoires brisées ou asymptotiques, des duels homériques, des paris affolants, des nuits qu’on voudrait oublier, des petits matins blêmes ou ensoleillés.

Le couvreur de fond, depuis près de vingt ans, fait vivre le poker comme nul autre média ne le permet. Il aborde le tournoi comme un penseur de la psychogéographie, ces philosophes déambulatoires qui voient en chaque détail du paysage un palimpseste d’histoires. Il passe parfois des heures durant à traîner sa solitude entre les tables mal réveillées, à noter sur un petit carnet un coup brûlant dans l’instant et ennuyeux la minute suivante. Il abonde de small talk avec les joueurs qu’il suit, les stars qu’il convoite, les filles scandaleuses et les retraités flamboyants. Il suit, le nez au vent, l’odeur entêtante d’un parfum capiteux ou d’un vieux grinder qui ne s’est pas changé depuis des jours. Il grogne lorsque les équipes télévisées officielles le bousculent, le remisent loin des lumières et des objectifs, lui interdisant tout accès singulier. Le couvreur est un journaliste du fait divers, un « diversier » dans la plus pure tradition du journalisme de terrain : il ne lâche rien, travaille en autonomie et s’accroche aux tuyaux de ceux qu’il croise. La bonne histoire viendra bien à un moment ; et en attendant, il exécute le tout-venant, le coin-flip qui ne passe pas, le triple-up façon strike de deux joueurs, relaie le bon mot ou la blague entendus à la volée.

Parfois, le couvreur et le coureur de fond n’en peuvent plus de Vegas et des jetons, de la climatisation à bloc, des odeurs de burgers trop grillés, des voix nasillardes des escorts débarquant de Los Angeles chaque week-end, des tips monumentaux qu’il faut lâcher pour croire que l’on peut exister, des sessions de cash-game invariablement perdantes une fois les room des WSOP quittées au beau milieu de la nuit. Le premier ira souvent se ressourcer dans le désert, fréquenter le Vegas inconnu, celui des petites mains du gambling business, hurler une chanson dans un karaoké locals only de l’Arts District, s’offrir la pénombre et le silence d’une séance au cinéma, ouvrir un livre, lire la presse étrangère, s’abandonner dans un film ; le second, trop à sa course et ses objectifs, cherche le second souffle, celui qui permettra de renverser la table et d’entrer dans l’histoire. Tous deux particules élémentaires et singulières, ils se croiseront dès le lendemain de nouveau, sur ce terrain commun qu’est l’épaisse moquette des salles de tournoi du Horseshoe et du Paris Casino, comptant les jours comme des Vendredi de la vie désertique. Les WSOP ne font que commencer, et aucun n’est à l’abri d’un rush d’histoires brillantes ou de coinflips remportés.

photo © Caroline Darcourt pour Winamax

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[Journal Off des WSOP – 2 juillet] Et au 17ème bracelet, il se révéla

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Il y a ces joueurs que beaucoup s’évertuent à détester ou critiquer, mais qui forcent le respect et l’élan amical avec le temps. Phil Hellmuth est l’un d’eux, à la fois GOAT (Greatest Of All Time) du poker de tournoi et scapegoat (bouc émissaire) de la communauté américaine du poker pro et semi-pro. Les amateurs, eux, ne s’y sont pas trompés : il est celui qui les fait vibrer depuis des années, de la grande époque du Binion’s aux nouvelles légendes qui s’écrivent sur le Strip, au Horseshoe situé face au Bellagio. Les cohortes de fans se pressent pour lui demander un selfie personnalisé, nouvel avatar des photos dédicacées cheesy des années quatre-vingt.

Chaque été, Phil Hellmuth positive, puisque c’est désormais son leitmotiv, depuis notamment un livre en guise de manuel de self-improvement où il consacre la positivité en art de vivre, quitte à parfois en faire bien trop sur le sujet. Mais l’homme, derrière les rants et les éruptions de colère qui échappent même au personnage qu’il s’est créé de « Poker Brat », a su intimement rester lui-même : le marketing, chez lui, est surfaciel, comme si son humanité dépassait les vagues tentatives de branding qu’il agite sur les réseaux sociaux (boisson énergisante, shitcoin, hotel casino de Las Vegas, opérateur en ligne… tout y est passé).

Hellmuth aime le poker, il est le poker. Un poker made in America hérité des grandes années pré-Moneymaker, cette époque où les personnages, comme au catch, créés pour les tables télévisées sont devenus des american hero. Simples à comprendre, faciles à anticiper dans leurs réactions, et toujours le coeur sur la main. Il y a le Kid (Negreanu) qui babille sans cesse et sait lire dans les âmes ; le Great Dane (Gus Hansen), qui fait tomber les filles entre deux bluffs improbables, avachi à table ; le sportif glacial (Patrik Antonius) venu de contrées glaciales ; le post-soviétique éruptif (Tony G) qui chambre et agresse ses adversaires ; le Texan, l’intello juif new-yorkais, la bimbo, etc.

Mais ce 2 juillet 2023, Hellmuth n’était plus le Brat, ce pénible grand gaillard en survêtement inamovible de quasi mafieux italien (on pense au New Jersey et ses personnages à la Soprano, tous vêtus de track suits) ; il est le jeune homme qui remportait, les yeux écarquillés son premier bracelet, il y a des décennies en 1989, devenant le plus jeune champion du monde, à 24 ans. 34 ans plus tard, il rafle la mise dans l’un de ces nouveaux tournois ultra-rapides créés par les World Series : un 10 000$ Super Turbo joué en une seule journée. 642 entrées, 800 000$ à la gagne. Et c’est Hellmuth, au même regard ébahi, qui entre une fois de plus dans l’histoire. Au 17ème bracelet accumulé, même ses habituels détracteurs ne peuvent qu’observer quelques minutes de silence : Hellmuth force le respect.

 

 

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[Journal Off des WSOP — 20 juin] Au ban des tricheurs

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Les journées des WSOP se suivent, et se ressemblent parfois. Mais à évènement exceptionnel —un Super High Roller à 250 000$—, shitstorm hors norme oblige. Le « lanceur d’alerte » n’est autre qu’un certain Andrew Robl, joueur high-stakes devant l’éternel, qui allume la mèche alors que le tournoi vient tout juste de commencer : Martin Kabrhel, l’un des joueurs les plus agaçants du circuit, marquerait les cartes lors des compétitions. A l’ancienne : une technique vieille comme le monde que les renards des anciens cercles parisiens ou les sharks des parties de Vegas connaissent par coeur. Une accusation, aussi, vieille comme le monde puisque certains se souviendront que de telles rumeurs couraient déjà sur les parties high-stakes du Dunes puis du Big Game, envers Chip Reese, Amarillo Slim, Puggy Pearson et Doyle Brunson. A l’époque, le « lanceur d’alerte » était un obscur joueur américain qui inondait les forums BBS « rec.gambling » de ses dénonciations jamais véritablement prouvées ni avérées.

Mais dans ce genre de procès médiatique, tout se joue désormais en temps réel, via Twitter. Et la voix de celui qui porte le premier coup —Andrew Robl, donc— compte pour beaucoup dans la crédibilité que l’on peut porter à de telles accusations. Alors que Kabrhel est encore en course dans le 250K, qu’il élimine le paisible Dan Smith, provoquant la colère de ce dernier devant les caméras de PokerGo, les accusations en tricherie fleurissent de plusieurs comptes (Tom Dwan, Galfond, le ‘revenant’ Hugo Lemaire) : oui, Kabrhel triche, marque les cartes en les grattant ou en les « collant » du bout des doigts, et tout le monde le sait depuis bien longtemps dans la communauté. Alors, pourquoi n’avoir jamais rien dit avant ? Certains avancent, complot à l’appui, que ce joueur tchèque habitué des grosses parties du Kings à Rozvadov multiplie les extravagances à table afin de masquer ses tricheries. Tous les joueurs contactés sont, au moins, à l’unisson sur un point : la conduite de table de Kabrehl est insupportable, agressant verbalement les autres joueurs à table, ricanant, se moquant avec flagornerie et cynisme. Tout sauf de la « poker etiquette », même s’il n’est pas le seul à avoir cédé à ce genre de facilités. Et si, suggèrent certain, tout cela n’était pas uniquement du metagame utilisé afin de faire tilter ses adversaires sur le long terme ?

Comme à chaque fois dans ce genre d’affaires, les « vidéos qui prouvent le délit » apparaissent. Tout au plus des clips durant quelques secondes qui montrent en effet Kabrhel en train de frotter une carte. Et alors ? Où sont donc passées ces cartes souillées ? Pourquoi ne pas avoir fait d’enquête depuis tout ce temps si cela était avéré, comme Robl et consorts le disent sans ambage ? Kabrehl se défend, après avoir sauté du 250k (ou, s’être fait éliminé à escient, selon ses détracteurs) : son comportement, quasi-autistique (on imagine en effet assez bien son attitude comme relevant d’un véritable trouble du comportement), n’a rien à voir avec de la triche. Et il poursuivra en diffamation toute personne affirmant le contraire. L’habituel ballet de la dénonce et de la menace de la diffamation peut ainsi démarrer, n’apportant sûrement au final aucune preuve, juste des suspicions plus ou mons étayées car, au final, ceux qui veulent y croire, y croiront toujours. Seuls les imbéciles semblent changer d’avis.

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[Journal Off des WSOP — 12 juin] La revanche des masques

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Parce qu’il n’a pas de place pour la nuance, pas plus que pour l’ironie, les interactions sociales semblent régies par une logique de polémiques intenses en un espace temps-poisson rouge : ce qui choque un jour sera oublié le lendemain, mais pourra revenir de façon encore plus hystérisée dans quelques mois. Le feu aux poudres, cette fois, a été déclenché involontairement par Isaac Haxton, lors de sa victoire haut la main du 25 000$ 8-handed, pour près d’1 700 000$. Un premier bracelet pour celui que beaucoup surnommaient « le meilleur d’entre nous sans bracelet WSOP », et la confirmation que 2023 est une année spéciale pour Haxton, de retour au meilleur de sa forme. Pourtant, sa victoire fait « débat » sur le poker-twitter américain : non content d’atteindre les quelques 35 millions de gains en tournois, Haxton a osé dominer le tournoi avec un masque N95 sur le visage. Comme un crachat à la figure des anti-masques, un affront que peu lui pardonnent.

Leur cause est entendue, et aucun débat serein ne saurait être mené : Haxton est un imbécile qui touche des jetons mais porte un masque à chaque seconde du tournoi ; il n’a pas même la politesse d’enlever son masque sur les photos, ce qui choque le monde entier ; Haxton connaît peut-être les statistiques du poker, mais pas celles du COVID, etc. En réponse, Haxton s’amuse à chaque victoire en partageant les photos, invariablement masquées, de ses trophées et ses millions glanés en un seul semestre de 2023. Une posture presque politique, elle aussi, puisqu’il insiste afin de poser comme cela en « soutient à ceux qui subissent la pression publique afin de ne pas porter de masques ».

Kara Scott, l’une des figures les plus attachantes et intellectuellement brillantes du poker depuis bien des années, est l’une d’elles. Elle qui souffre de soucis de santé récurrents bataille depuis des mois déjà afin de promouvoir une extension du port de masques dans le milieu du poker, ces situations où l’on passe en intense proximité d’autres joueurs du monde entier. Son travail —présentatrice des plateaux WSOP— lui a empêché de suivre à la lettre sa recommandation, et elle a contracté le COVID lors d’un WSOP précédent. Sur Twitter, elle subit elle aussi la meute anti-masque, entre libertarisme américain forcené, complotisme-light et toujours  ce même dangereux mélange de sentiment de supériorité (je sais mieux que toi ce qui est bien) et d’infériorité (je suis mis au ban) qui créé bien des conflits internes.

Au masque comme acte politique —des deux côtés—, s’ajoute une extension du domaine de la lutte : pour les anti, Haxton n’est pas seulement un « pro-mask » honteux, il est bien évidemment un soldat dévoyé de l’idéologie woke
/ukrainienne/lgbtqi+/progressiste (barrez la mention voulue) qui concourt à amener le monde/l’Amérique droit dans le mur. Posant avec son ami Justin Bonomo (démasqué) sur l’une des photos de vainqueur, il aggrave même son cas puisque Bonomo est considéré depuis longtemps par la poker-sphère réac (Mike Matusow en tête, Ryan DePaulo « I’m not a pussy, I don’t wear a mask », etc.) comme un social justice warrior de la pire espèce. Bonomo, le même joueur qui, filmé masqué à table lors d’un tournoi high-roller WSOP osait user de l’ironie (« ils sont tous nuls à ma table, c’est agréable de jouer contre des types qui ne connaissent rien à ce jeu ») en parlant de ses adversaires multi-capés. Une ironie bien évidemment immédiatement attaquée par ses détracteurs, dont la grille de lecture prédéfinie passe au tamis de l’univocité toute déclaration. Des attitudes qui radicalisent le discours et interdisent le dialogue, comme si porter un masque (ou non) en table finale devait faire sujet de société, objet de débat enflammé et story auto-destructible sur les réseaux sociaux.

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