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Le journal Off du poker

Journal Off du poker : Chinatown in New York !

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John D. a quarante ans aujourd’hui. Il est assis au comptoir du meilleur sushi bar de Greenwich Village, à quelques mètres seulement de l’Hudson River. Pour célébrer son anniversaire, il va demander sa fiancée en mariage, mais celle-çi n’est pas encore arrivée. En attendant, il se donne du courage en avalant rapidement plusieurs verres de saké, partageant sa bouteille à son voisin. « Trente minutes de retard, putain… Et elle ne répond pas… », semble-t-il s’autojustifier avant de nous resservir un nouveau verre de saké. John joue machinalement avec une pièce de sa main droite. Il a la nervosité de ceux qui n’attendent pas, la dextérité des joueurs habitués aux piles de jetons posés sur tapis vert. « Gambling for your life, man ? » La réponse fuse : « Si seulement, mec… ».

La pièce s’accélère dans la main de John, puis tombe, ivre comme son propriétaire, sur le comptoir noueux du sushi-bar. John est un joueur. Patenté ou compulsif, au choix. Et parler de sa passion de la roulette et du poker lui changera les idées en attendant que cette fille le rejoigne enfin. John a de l’argent. Beaucoup d’argent. Comment ? Cinq hôtels à Chinatown, des « budget-hotels » loués à prix d’or à des touristes éreintés, quelques mètres carrés de mur vaguement blanc, un lit dur comme le bois, des fenêtres borgnes, des lavabos ébréchés —le tout pour 200$ la nuit. Avec plus de 70 chambres par établissement, John a le temps de voir venir. De jouer, cher, tous les soirs ou presque. Et même de perdre avec le sourire.

A New York, les jeux d’argents sont interdits. Et pas la moindre entrave à cette règle n’a survécu aux années Bloomberg, qui tranchent singulièrement avec le laxisme de l’équipe Giuliani, à la fin des années 1990s. Comme toujours, en surface, la loi était respectée. Mais derrière le New York nettoyé par le républicain forcené depuis reconverti dans la sécurité privée (inclus celles d’états entiers), quelques clubs privés proposaient des tables de poker, de rami et autres joyeusetés, au presque grand jour. Le plus connu d’entre eux ? Le Mayfair Club. Un endroit élégant qui a littéralement formé une génération de joueurs de poker, de Phil Laak à Erik Seidel, en passant par Howard Lederer et consorts. Au même moment, Phil Ivey, né dans le New Jersey, en était encore à maquiller une fausse carte d’identité, et allait raser les tables putrides d’Atlantic City du haut de ses 17 ans… Mais le Mayfair, qui existait en toute légalité grise (ou toute illégalité, question de point de vue), a été fermé définitivement il y a quelques années. La loi appliquée au pied de la lettre.

Depuis, les joueurs se sont rabattus vers les parties privées, facilement trouvables via les forums web et même un outil social NewyorkUndergroundPokerScene. Ou de véritables mini-clubs de jeux, totalement illégaux. C’est là que John passe ses nuits, et voit filer sa recette du jour de façon quasi-métronomique. Mais ce soir, John ne jouera pas. En tout cas, pas sur tapis vert. Ce soir, John demandera sa petite amie en mariage, et s’écroulera sûrement, abruti de saké à 400$ la carafe et d’émotion, dans le grand lit de soie entouré de roses qu’il a préparé pour cette nuit spéciale.

Le lendemain, John m’a donné rendez-vous sur Canal Street. Sa fiancée est arrivée, elle m’a même saluée, le dévisageant avec une pointe de mépris quant à son état alcoolisé déjà avancé. S’il a l’argent, elle a de son côté le pedigree : fille de grande famille japonaise, elle va s’abaisser à prendre pour époux un enfant d’immigrés chinois, riche aux as, flambeur et généreux. Mais ni cultivé, ni adepte des bonnes manières, ni même de son pays. John a encore la gueule de bois d’hier, et ne se souvient pas exactement des modalités de la fin de soirée. Mais elle a dit oui, c’est l’important. Maintenant, il peut passer à autre chose. Jouer, par exemple.

Le club que fréquente John est situé en étage. Au beau milieu de Tribeca, à quelques mètres seulement de la furia touristique des street-hustlers de Canal Street (frontière invisible du Chinatown new-yorkais). On rentre dans l’immeuble sous l’égide de deux videurs invisibles, placés de chaque côté de l’adresse, faisant mine de travailler dans un magasin de hi-fi et de souvenirs. John est connu, il n’a même plus besoin de les saluer. Mais il valide le fait d’avoir un invité avant de pousser la porte de l’immeuble. « Personne n’habite ici, » m’explique-t-il alors que nous montons le long escalier abrupt typique des vieux immeubles new-yorkais. « Les types qui ont le club ont racheté tout l’immeuble, et ils ont installés des gens à eux pour que cela soit plus discret, au premier étage. Des vieux qui ne sortent presque jamais. »

C’est au deuxième que tout se passe. Tout en haut des escaliers, deux autres videurs, qui s’adressent à John en cantonais en lui tapant la main. « C’est mes potes ! » rigole John tout en poussant la porte d’entrée. Le paradis du jeu est à quelques mètres.
Le club en question est réduit à sa plus simple expression : six tables de poker, avec des croupiers en civil, tous asiatiques. Un bar sommaire qui sert cognac, bourbon et bières, ou chacun peut aller se servir en l’absence de la barmaid. Une table pour jouer aux dés, deux autres dédiées au rami, une dernière au poker chinois. Au fond, dans le coin le plus éloigné, trois endroits pour jouer au Blackjack, Baccarat et autres jeux de tables. Elles sont bondées, contrairement aux tables de poker qui ne sont pas encore toutes remplies. Le prélèvement ? Horaire. Le prix ? 100$ par personne. Les blindes ? 5-10-20 pour la plus petite, et une grosse table de NLHE peut se monter en 100-200$ confirme John, avant de nuancer : « Mais c’est rare… Ici, il y a du cash, mais pas vraiment de joueurs pros. On est là pour le jeu, s’amuser, pas pour gagner notre vie. »

La majeure partie du public est d’origine asiatique. Au total, trois occidentaux se détachent dans la salle. La langue officielle à table n’est pas l’anglais. Et, de toutes façons, on ne part pas à table : on y crie, rarement, mais surtout on s’y tait. Une salle de 100 mètres carrés uniquement emplie de bruits de jetons. Pas un mot. Une fièvre du jeu muette, exactement comme à Macau, plus grosse ville du jeu au monde qui suinte l’addiction jusqu’à avoir quasiment banni l’excitation du gain, le drame de la perte ou l’adrénaline d’un tapis payé sur un simple tirage. John me parle bas, m’explique avec qui il joue habituellement. Il va s’asseoir à la petite table, avec 2000$ devant lui, dont la moitié seulement en jetons que le croupier pousse devant lui. Je ne peux pas rester derrière lui, et aucune envie de mettre une telle somme à une table où tout est possible, mais certainement pas gagner. John m’a déjà oublié, perdu dans les premières cartes qu’il retourne depuis 48 heures. Au dehors, les clameurs de la ville percent derrière les fenêtres bornes du loft. En redescendant l’escalier, je croise deux nouveaux joueurs qui montent vers le club. Un endroit anonyme que les autorités n’ont pas encore fermé. Un abreuvoir pour les troupeaux de joueurs compulsifs qui hantent les artères de Canal Street. « We buy gooooold ! » hurle un mendiant afro-américain au beau milieu de la route, rabattant les hommes et femmes ruinées vers un Pawn Shop local ouvert nuit et jour. « We buy gooooooold Sir ! » hurle-t-il à un joueur qui quitte lui aussi le club. A Canal Street, comme à Vegas, Atlantic City ou dans les faubourgs des réserves indiennes de l’Amérique du Nord, tout s’achète et tout se joue.

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[Journal Off des WSOP – 2 juillet] Et au 17ème bracelet, il se révéla

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Il y a ces joueurs que beaucoup s’évertuent à détester ou critiquer, mais qui forcent le respect et l’élan amical avec le temps. Phil Hellmuth est l’un d’eux, à la fois GOAT (Greatest Of All Time) du poker de tournoi et scapegoat (bouc émissaire) de la communauté américaine du poker pro et semi-pro. Les amateurs, eux, ne s’y sont pas trompés : il est celui qui les fait vibrer depuis des années, de la grande époque du Binion’s aux nouvelles légendes qui s’écrivent sur le Strip, au Horseshoe situé face au Bellagio. Les cohortes de fans se pressent pour lui demander un selfie personnalisé, nouvel avatar des photos dédicacées cheesy des années quatre-vingt.

Chaque été, Phil Hellmuth positive, puisque c’est désormais son leitmotiv, depuis notamment un livre en guise de manuel de self-improvement où il consacre la positivité en art de vivre, quitte à parfois en faire bien trop sur le sujet. Mais l’homme, derrière les rants et les éruptions de colère qui échappent même au personnage qu’il s’est créé de « Poker Brat », a su intimement rester lui-même : le marketing, chez lui, est surfaciel, comme si son humanité dépassait les vagues tentatives de branding qu’il agite sur les réseaux sociaux (boisson énergisante, shitcoin, hotel casino de Las Vegas, opérateur en ligne… tout y est passé).

Hellmuth aime le poker, il est le poker. Un poker made in America hérité des grandes années pré-Moneymaker, cette époque où les personnages, comme au catch, créés pour les tables télévisées sont devenus des american hero. Simples à comprendre, faciles à anticiper dans leurs réactions, et toujours le coeur sur la main. Il y a le Kid (Negreanu) qui babille sans cesse et sait lire dans les âmes ; le Great Dane (Gus Hansen), qui fait tomber les filles entre deux bluffs improbables, avachi à table ; le sportif glacial (Patrik Antonius) venu de contrées glaciales ; le post-soviétique éruptif (Tony G) qui chambre et agresse ses adversaires ; le Texan, l’intello juif new-yorkais, la bimbo, etc.

Mais ce 2 juillet 2023, Hellmuth n’était plus le Brat, ce pénible grand gaillard en survêtement inamovible de quasi mafieux italien (on pense au New Jersey et ses personnages à la Soprano, tous vêtus de track suits) ; il est le jeune homme qui remportait, les yeux écarquillés son premier bracelet, il y a des décennies en 1989, devenant le plus jeune champion du monde, à 24 ans. 34 ans plus tard, il rafle la mise dans l’un de ces nouveaux tournois ultra-rapides créés par les World Series : un 10 000$ Super Turbo joué en une seule journée. 642 entrées, 800 000$ à la gagne. Et c’est Hellmuth, au même regard ébahi, qui entre une fois de plus dans l’histoire. Au 17ème bracelet accumulé, même ses habituels détracteurs ne peuvent qu’observer quelques minutes de silence : Hellmuth force le respect.

 

 

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[Journal Off des WSOP — 20 juin] Au ban des tricheurs

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Les journées des WSOP se suivent, et se ressemblent parfois. Mais à évènement exceptionnel —un Super High Roller à 250 000$—, shitstorm hors norme oblige. Le « lanceur d’alerte » n’est autre qu’un certain Andrew Robl, joueur high-stakes devant l’éternel, qui allume la mèche alors que le tournoi vient tout juste de commencer : Martin Kabrhel, l’un des joueurs les plus agaçants du circuit, marquerait les cartes lors des compétitions. A l’ancienne : une technique vieille comme le monde que les renards des anciens cercles parisiens ou les sharks des parties de Vegas connaissent par coeur. Une accusation, aussi, vieille comme le monde puisque certains se souviendront que de telles rumeurs couraient déjà sur les parties high-stakes du Dunes puis du Big Game, envers Chip Reese, Amarillo Slim, Puggy Pearson et Doyle Brunson. A l’époque, le « lanceur d’alerte » était un obscur joueur américain qui inondait les forums BBS « rec.gambling » de ses dénonciations jamais véritablement prouvées ni avérées.

Mais dans ce genre de procès médiatique, tout se joue désormais en temps réel, via Twitter. Et la voix de celui qui porte le premier coup —Andrew Robl, donc— compte pour beaucoup dans la crédibilité que l’on peut porter à de telles accusations. Alors que Kabrhel est encore en course dans le 250K, qu’il élimine le paisible Dan Smith, provoquant la colère de ce dernier devant les caméras de PokerGo, les accusations en tricherie fleurissent de plusieurs comptes (Tom Dwan, Galfond, le ‘revenant’ Hugo Lemaire) : oui, Kabrhel triche, marque les cartes en les grattant ou en les « collant » du bout des doigts, et tout le monde le sait depuis bien longtemps dans la communauté. Alors, pourquoi n’avoir jamais rien dit avant ? Certains avancent, complot à l’appui, que ce joueur tchèque habitué des grosses parties du Kings à Rozvadov multiplie les extravagances à table afin de masquer ses tricheries. Tous les joueurs contactés sont, au moins, à l’unisson sur un point : la conduite de table de Kabrehl est insupportable, agressant verbalement les autres joueurs à table, ricanant, se moquant avec flagornerie et cynisme. Tout sauf de la « poker etiquette », même s’il n’est pas le seul à avoir cédé à ce genre de facilités. Et si, suggèrent certain, tout cela n’était pas uniquement du metagame utilisé afin de faire tilter ses adversaires sur le long terme ?

Comme à chaque fois dans ce genre d’affaires, les « vidéos qui prouvent le délit » apparaissent. Tout au plus des clips durant quelques secondes qui montrent en effet Kabrhel en train de frotter une carte. Et alors ? Où sont donc passées ces cartes souillées ? Pourquoi ne pas avoir fait d’enquête depuis tout ce temps si cela était avéré, comme Robl et consorts le disent sans ambage ? Kabrehl se défend, après avoir sauté du 250k (ou, s’être fait éliminé à escient, selon ses détracteurs) : son comportement, quasi-autistique (on imagine en effet assez bien son attitude comme relevant d’un véritable trouble du comportement), n’a rien à voir avec de la triche. Et il poursuivra en diffamation toute personne affirmant le contraire. L’habituel ballet de la dénonce et de la menace de la diffamation peut ainsi démarrer, n’apportant sûrement au final aucune preuve, juste des suspicions plus ou mons étayées car, au final, ceux qui veulent y croire, y croiront toujours. Seuls les imbéciles semblent changer d’avis.

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[Journal Off des WSOP — 12 juin] La revanche des masques

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Parce qu’il n’a pas de place pour la nuance, pas plus que pour l’ironie, les interactions sociales semblent régies par une logique de polémiques intenses en un espace temps-poisson rouge : ce qui choque un jour sera oublié le lendemain, mais pourra revenir de façon encore plus hystérisée dans quelques mois. Le feu aux poudres, cette fois, a été déclenché involontairement par Isaac Haxton, lors de sa victoire haut la main du 25 000$ 8-handed, pour près d’1 700 000$. Un premier bracelet pour celui que beaucoup surnommaient « le meilleur d’entre nous sans bracelet WSOP », et la confirmation que 2023 est une année spéciale pour Haxton, de retour au meilleur de sa forme. Pourtant, sa victoire fait « débat » sur le poker-twitter américain : non content d’atteindre les quelques 35 millions de gains en tournois, Haxton a osé dominer le tournoi avec un masque N95 sur le visage. Comme un crachat à la figure des anti-masques, un affront que peu lui pardonnent.

Leur cause est entendue, et aucun débat serein ne saurait être mené : Haxton est un imbécile qui touche des jetons mais porte un masque à chaque seconde du tournoi ; il n’a pas même la politesse d’enlever son masque sur les photos, ce qui choque le monde entier ; Haxton connaît peut-être les statistiques du poker, mais pas celles du COVID, etc. En réponse, Haxton s’amuse à chaque victoire en partageant les photos, invariablement masquées, de ses trophées et ses millions glanés en un seul semestre de 2023. Une posture presque politique, elle aussi, puisqu’il insiste afin de poser comme cela en « soutient à ceux qui subissent la pression publique afin de ne pas porter de masques ».

Kara Scott, l’une des figures les plus attachantes et intellectuellement brillantes du poker depuis bien des années, est l’une d’elles. Elle qui souffre de soucis de santé récurrents bataille depuis des mois déjà afin de promouvoir une extension du port de masques dans le milieu du poker, ces situations où l’on passe en intense proximité d’autres joueurs du monde entier. Son travail —présentatrice des plateaux WSOP— lui a empêché de suivre à la lettre sa recommandation, et elle a contracté le COVID lors d’un WSOP précédent. Sur Twitter, elle subit elle aussi la meute anti-masque, entre libertarisme américain forcené, complotisme-light et toujours  ce même dangereux mélange de sentiment de supériorité (je sais mieux que toi ce qui est bien) et d’infériorité (je suis mis au ban) qui créé bien des conflits internes.

Au masque comme acte politique —des deux côtés—, s’ajoute une extension du domaine de la lutte : pour les anti, Haxton n’est pas seulement un « pro-mask » honteux, il est bien évidemment un soldat dévoyé de l’idéologie woke
/ukrainienne/lgbtqi+/progressiste (barrez la mention voulue) qui concourt à amener le monde/l’Amérique droit dans le mur. Posant avec son ami Justin Bonomo (démasqué) sur l’une des photos de vainqueur, il aggrave même son cas puisque Bonomo est considéré depuis longtemps par la poker-sphère réac (Mike Matusow en tête, Ryan DePaulo « I’m not a pussy, I don’t wear a mask », etc.) comme un social justice warrior de la pire espèce. Bonomo, le même joueur qui, filmé masqué à table lors d’un tournoi high-roller WSOP osait user de l’ironie (« ils sont tous nuls à ma table, c’est agréable de jouer contre des types qui ne connaissent rien à ce jeu ») en parlant de ses adversaires multi-capés. Une ironie bien évidemment immédiatement attaquée par ses détracteurs, dont la grille de lecture prédéfinie passe au tamis de l’univocité toute déclaration. Des attitudes qui radicalisent le discours et interdisent le dialogue, comme si porter un masque (ou non) en table finale devait faire sujet de société, objet de débat enflammé et story auto-destructible sur les réseaux sociaux.

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