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Le journal Off du poker

[La chronique de Benjo] En attendant le Club 104…

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Récemment, m’étant échappé de Paris le temps d’un week-end, j’ai fait quelque chose que j’avais perdu l’habitude de faire : je suis entré dans un casino français. Une visite qui ne sera absolument pas l’objet de cette chronique, puisqu’elle n’a pas duré plus de quinze minutes : il se trouve que je ne me suis pas senti particulièrement le bienvenu au sein de cet établissement (où je mettais les pieds pour la première fois), du fait d’un service de sécurité particulièrement zélé et d’un chef de partie qui avait semble t-il autre chose à faire que de me permettre de miser. J’ai brièvement envisagé de faire une Phil Hellmuth (« Vous ne savez donc pas qui je suis ? ») avant de me rappeler juste à temps que je n’étais rien – enfin, pas tout à fait rien : j’ai déjà serré la main de Phil Hellmuth. Nonobstant, j’ai tourné les talons avant d’avoir eu l’opportunité de perdre le moindre centime. Notez que, décrit comme cela, on pourrait presque conclure que les tenanciers de cet établissement se souciaient de mon bien-être financier : qu’ils en soient donc remerciés… Même si, pour le coup, j’aurais préféré en avoir pour mon argent (c’est à dire : avoir la possibilité d’en perdre). J’ai ruminé ma déception avec quelques grilles de Rapido au PMU voisin – eux n’ont pas fait d’histoires.

De retour à Paris, il n’y avait rien à faire : le jeu en live dans la capitale peine décidément à ressusciter, six mois après la fermeture du Cercle Clichy-Montmartre, le dernier des Mohicans. Comme tout le monde, entre deux Expresso le soir après le boulot (des Spin&Go, plutôt : je n’ai évidemment pas le droit de jouer sur le site qui m’emploie), j’attends. Je lis les news pour tuer le temps. Il y a des bonnes nouvelles, quand même. Les choses avancent, pas assez vite, mais elles avancent. J’apprends par exemple sur Les Clubs de Jeux Parisiens, le site du toujours bien renseigné Julien Tissot, que le Club Montmartre (successeur du CCM sus-cité) a enfin obtenu du Ministère de l’Intérieur son autorisation d’exercer, et que les tournois du Club Barrière 104 Champs Elysées – la nouvelle incarnation du mythique Aviation Club de France – seront chapeautés par Lucille Desnos. Un gage de sérieux ! On peut lire aussi que le Club Circus prévoit 20 tables rien que pour le poker à deux pas du Parc des Princes, et que les WSOP négocient déjà leur retour à Paris, via le label « Circuit ». Fort bien. Vivement !

En 2004, à l’Aviation Club de France

En attendant le 104 (et les autres), je repense à ma première fois. Dimanche 7 décembre 2003. Six mois plus tôt, un certain Chris Moneymaker a gagné les World Series of Poker. En France, le poker n’intéresse alors que les habitués des cercles parisiens et quelques dizaines de fanatiques réunis sur le forum ClubPoker pour discuter de leurs parties à cinq euros entre potes ou en ligne. La communauté est balbutiante mais son gourou Laurent Dumont possède suffisamment de bagout pour convaincre l’un de ces cercles, l’ACF, d’organiser des tournois à prix plancher. Sabine Hazoume et Bruno Fitoussi sont d’accord. 15 € l’entrée ! Recaves à cinq balles. Coup de folie ? Coup de génie, plutôt.

Je me rappelle encore de notre arrivée sur les Champs, après 200 kilomètres à bord de la 205 de Fabien, mon co-conspirateur de l’époque, en compagnie de qui j’ai fièrement raté ma troisième année de fac parce que le poker était somme toute bien plus intéressant. Le voiturier a pris sans broncher les clés de la tire miteuse de mon ami, mais nous on n’en menait pas large, dans nos chaussures de ville Célio et nos chemises blanches qui ne sortaient du placard que pour les mariages et les communions. La tremblotte au moment de présenter les papiers d’identité à l’accueil (à l’époque, pas de cotisation ni de sas !), qui ne me quittera pas en traversant le couloir jusqu’au guichet des inscriptions, et encore moins au moment de distribuer le premier coup du tournoi. Car oui, petit détail : il n’y avait pas assez de croupiers pour les 135 joueurs présents, il fallait donner les cartes soi-même. Mais qui s’en serait plaint ? On était à l’intérieur du temple, en train de jouer un tournoi pour tout juste quinze balles, à quelques mètres de la grosse partie de Claude Cohen. Je ne l’avais vu qu’en photo, et il allait me falloir patienter encore quelques mois avant de récupérer une copie DVD pirate de sa finale sur l’étape World Poker Tour jouée quelques mois plus tôt à l’endroit même où nous étions. On aurait pu jouer avec des allumettes que cela ne m’aurait pas dérangé. On était là où tout se passait. Le grand salon avec les fumeurs de cigare lisant leur journal, le bar et ses alcools forts, la section high-stakes qu’on entrevoyait derrière les rideaux…

L’Aviation Club de France. Même le nom était enveloppé de mystère. C’était un fantasme qui ce jour-là est devenu réalité. J’allais passer les mois suivants à essayer de convaincre mes potes d’y retourner avec moi. Et cela tombait bien, car aussitôt après les premières tentatives de 2003, l’ACF allait inaugurer 2004 en passant en mode 24h/24, puis en organisant chaque jour des tournois à 5 €… à 8 heures du matin ! Est-ce que j’ai fait le déplacement depuis Lille pour en jouer quelques-uns ? A votre avis ?

J’ai adoré mes premières visites à l’ACF, non pas en dépit de leur côté intimidant, mais bien parce qu’elles étaient intimidantes. J’ai chéri la trouille qui m’a envahi en voyant s’installer Fabrice Soulier à côté de moi sur une table de Dealer Choice (et le regard compatissant qu’il m’a jeté quand on est fait décaver sur la même main, par un de ces flambeurs pur jus qui jouaient n’importe quelle combinaison, histoire de « montrer comment on fait au petit jeune d’Internet »). J’ai souri à chaque fois que le serveur maussade et pressé m’a snobé, avant de finir par m’apporter mon Coca, en râlant bien-sûr, malgré le pourboire. Je me suis esclaffé sous cape devant les private jokes que s’échangeaient les habitués – je ne comprenais pas tout, mais ce langage codé était fascinant. J’ai aimé prendre mon mal en patience au bar en attendant qu’une place se libère à la 2/2 : on pouvait aussi bien se retrouver à discuter avec un autre passionné du ClubPoker qu’avec un Devilfish fraîchement débarqué de l’Eurostar, et qui ne tarderait pas à s’installer au piano du grand salon. J’ai savouré le petit déjeuner de six heures du matin, bref répit avant de reprendre le combat face aux derniers insomniaques se mélangeant à ceux qui arrivaient tout frais à l’aube.  Et peu importe la quantité de jetons que j’avais échangée à la caisse après m’être levé, il n’y avait rien de plus délicieux que de se prendre le soleil dans la tronche au milieu des grouillantes Champs-Elysées, et de marcher en zig-zag jusqu’au métro Georges V.

Combien de types comme moi, qui tripotaient des jetons bon marché avec leurs potes et tentaient chaque dimanche d’atteindre des finales à dix balles devant leur ordi, ont découvert le « vrai » poker grâce à ces tournois low cost ? Grâce à eux, « aller au 104 » allait devenir un véritable rite initiatique. L’ACF avait senti venir la déferlante : ces parties accessibles à tous furent un vrai coup de maître. C’était comme faire entrer le loup dans la bergerie, mais à l’envers : les petits poissons étaient invités à se baigner dans l’aquarium des requins ! Et une fois à l’intérieur, on n’était pas pris de haut, même lorsque l’on n’y connaissait personne. Il y avait des codes à apprendre et à respecter, mais cela faisait partie du jeu : on s’y prêtait avec plaisir. Car une fois dans le club, on pouvait y revenir. Et on y revenait. Pour le boulot (en ce qui me concerne), mais pas seulement. Le prétexte d’un cognac pris en début – ou en fin – de soirée, histoire de dire bonjour, était souvent tout ce dont on avait besoin. Et à l’heure où l’appellation « cercle » meurt pour laisser place à celle de « club », j’espère justement que ce nouveau terme est la promesse que l’esprit d’antan sera respecté.

par Benjamin « Benjo » Gallen

crédit photo ouverture : Caroline Darcourt

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[WiPT Paris – Journal off] Comme un joueur

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Comme un joueur, j’ai cru en mes chances. Cédé à l’ennui de la mi-journée pour buy-in un satellite à 100€, et le gagner, à force de cartes folles.

Comme un joueur, j’ai enchaîné directement par un turbo Day 1 pour le Main Event. Comme un joueur, je suis allé prendre l’air, respirer une dernière fois avant d’entrer dans l’atmosphère de néons blancs et de hangar des salles de tournoi.

Comme un joueur, j’ai enfoncé mon casque, mis en boucle le même morceau lancinant, j’ai dit bonjour au croupier, en anglais ou français selon leur nationalité, j’ai recouvert le babil de mes adversaires des premiers niveaux par un drone en différence et répétitions, j’ai occulté le monde extérieur pour trouver un rythme intérieur.

Comme un joueur, rénégat cette fois, j’ai dû rendre mon accréditation presse au responsable du tournoi, histoire de déiontologie. Comme dans un (mauvais) film policier français, où un flic corrompu dépose pistolet en holster et médaillon de flic sur son bureau, avant de repartir avec son carton vide sous le bras.

Comme un joueur, cela m’a passablement agacé, alors je suis resté concentré. Au lieu d’aller avaler une pizza cartonneuse (18€) ou un « hamburger édition spéciale Johnny Halliday » (26€) dans les rades de cette porte de Paris, j’ai fait le tour à grandes enjambées des autres espaces du salon, pour rester dans ma (toute petite) bulle.

Comme un joueur, j’ai tenté un re-steal en grosse blinde avec une main pourrie (3-8 offsuit), payé debout sur la table par un relanceur avec paire de Dame. Comme un joueur, je suis retombé à une vingtaine de blindes, et j’ai attendu maussade qu’on oublie mes move débiles.

Comme un joueur, j’ai eu trois paires de suite, et comme un joueur, on a fini par me payer, et j’ai triple-up, et je me suis dit que j’étais vraiment le meilleur, et que plus rien ne pouvait m’arriver.

Comme un joueur, j’ai passé le Day 1, je suis entré dans l’argent, et comme un joueur, j’ai regardé le payout des places finales, imaginant ce que je ferais de l’argent vu que je finirais dans le Top 3.

Comme un joueur, j’ai ignoré les injonctions des amis m’enjoignant à « aller me reposer », et au lieu de cela, je suis allé à une fête prévue de longue date. Comme un joueur, je me suis réveillé à 2h30 du matin dans un bar qui passait du métal à 120db, et je me suis dit qu’il était temps de rentrer, peut-être.

Comme un joueur en gueule de bois, j’ai dépensé mes derniers euros en bouteilles de badoit glacée, je les ai bues d’affilée en attendant le début de la deuxième journée de tournoi, mâchonnant deux pommes pour couvrir mon haleine frelatée. Comme un joueur, j’avais envie d’être autre part, et puis a résonné le lancement de cette deuxième journée, et j’ai branché mon casque au téléphone, puis la musique a redémarré, et les premières cartes sont arrivées.

Comme un joueur, Caroline Darcourt m’a pris en photo, et j’étais plutôt content, même si je déteste ces moments, car Caroline a cette empathie qui rend chacun désirable sous son objectif.

Comme un joueur, j’ai fait ami avec mon voisin de table, avant de lui prendre un gros coup, et comme tous les autres joueurs autour, j’ai maugréé à chaque fois que nos tables étaient cassées, et comme un joueur, j’ai foldé, foldé, foldé, puis foldé à nouveau.

Comme un joueur, en huit heures de jeu, j’ai touché une seule paire (de 7, qui touche brelan au flop, et me propulse bien au-delà de l’average), pas une seule main au-dessus d’As-Dame offsuit, et comme un joueur qui regarde les autres joueurs, j’ai du voler la plupart de mes pots, pour attendre un ailleurs plus souriant.

Comme un joueur, j’ai fait le bluff le plus pourri du monde, et comme en face un joueur avait les As en main, j’ai dû faire une horreur pour le sortir. Comme un joueur, j’ai balbutié quelques mots ridicules, car on ne sait jamais comme consoler un autre joueur d’une petite mort imméritée. Comme un joueur, j’ai fermé les écoutilles pour ne pas entendre les moqueries des autres.

Comme un joueur, j’ai attendu et rebondi, j’ai passé un (beau) coup à un semi-pro imbu de lui-même, et je lui ai montré mes cartes car je suis moi aussi un joueur imbu de moi-même.

Comme un joueur, j’ai checké un inconnu après un beau coup, comme un joueur, j’ai écouté mes semblables déverser leurs bad beat, comme un joueur, je les ai entendus se justifier de leurs moves les plus absurdes, comme un joueur, j’ai demandé à mes voisins de table si j’avais bien joué mes mains, histoire de savoir comme eux le feraient.

Comme un joueur, à la pause, je me suis précipité recharger mon téléphone, j’ai fait la queue interminable dans des toilettes saturées, et comme un joueur, j’ai tout fait pour ne pas les entendre parler de re-buy, de tournois high-roller ou de side-events.

Comme un joueur, à environ 100 joueurs left, j’y ai cru encore plus, car j’avais bien au-dessus de la moyenne, car le rythme à table était calme, car j’avais tout le temps du monde et une gueule de bois oubliée dans les effluves de sueur aigre des autres joueurs.

Comme un joueur, j’ai complété un min-raise de la petite blinde, en big blinde, avec 9-10 de coeur. Comme un joueur, j’ai vu apparaître un flop agréable, Dame-Valet-2 offsuit. Comme un joueur, j’ai misé les 2/3 du pot, comme un joueur, mon adversaire, qui avait checké, a payé. Comme un joueur, j’ai vu un turn apparaître, avec rien de plus à l’horizon. Comme un joueur, j’ai check-back pour voir une carte gratuite. Comme un joueur qui voit la lueur au bout du tunnel, j’ai vu un Roi arriver. Et un tapis face à moi. Et comme un joueur avec la deuxième meilleure main possible, je n’ai pas hésité, et j’ai eu une montée d’adrénaline mal identifiée. Comme un joueur qui envisageait de perdre, j’ai payé, et j’ai perdu. As-10 pour une quinte supérieure. Comme un joueur, je viens de vous raconter mon badbeat.

Comme un joueur qui venait de buster, je suis parti l’air vaguement détaché, alors que j’étais agacé, déçu, énervé —contre moi, surtout, mais bien sûr contre le monde entier, car l’enfer, c’est les autres. Comme un ex-joueur, j’ai été toucher mon gain (1750€), et comme un joueur, j’ai fait la liste de ce que cela m’offrirait —une paire de chaussures trop chères, une montre ancienne, un restaurant japonais— et comme un joueur, j’ai rapidement calculé qu’il y en aurait pour bien plus que cela.

photographie Caroline Darcourt pour Winamax

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Autres tournois

[WiPT Paris – Journal off] Tout peut arriver

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La musique du hasard est celle qui sert de bande originale à tous les casinos, clubs, cercles, clandos, parties privées, écrans d’ordinateurs du monde entier. Elle résonne comme une ritournelle, change en intensité au fur et à mesure que l’odeur de l’argent entête nos sens, se fait plus strident au moment du couperet de la bulle, puis repart en drone lancinant jusqu’à ce que les vraies places payées (voire les places vraiment payées) se découpent dans l’horizon.

Dans la vie, tout peut arriver, non ? A la table de poker, c’est un pré-requis. Prenez Suat Uyanik, hier soir, au Day 1D, façon Turbo, du Main Event de la finale du WiPT. Réduit à quelques jetons, à peine une grosse blinde, ante non comprise, il part à tapis avec 2-10 de pique, contre une paire de Rois. Flashforward, deux heures plus tard, le voilà quasi-chipleader de la journée, sans être passé par la case re-entry. Entre temps, le 10 avait fait brelan, son tapis avait doublé, puis doublé, puis doublé, puis… Le tempo du hasard s’était accéléré, avait réinjecté un peu de vie et de grinta à celui qui s’était déjà levé et avait enfilé sa veste.

Au poker, tout arrive. Des champions multi-médaillés en viennent à quémander des buy-ins pour midstakes. Des As du online, adulés par des générations de spectateurs, sont jetés à l’opprobre publique pour n’honorer aucune dette et piétiner l’honneur de leurs créanciers. Ce qu’on leur reproche, finalement, n’est pas cette attitude moraliste qui vaut que toute dette doit être remboursée. Qui se fiche bien de savoir si Haralabob Voulgaris, quasi-milliardaire du betting américain, a bien été remboursé de quelques centaines de milliers de dollars par Tom Dwan ? Non, ce qui choque, ce qui blesse, ce qui heurte au plus profond de nous, c’est que ces héros tant admirés, ces bluffs fous et si bien construits qu’ils nous ont agités devant le nez n’étaient qu’instants de pure intensité, prélude à la musique bien plus banale du hasard et du (mauvais) coinflip. Si nos héros nous trahissent, en qui peut-on encore faire confiance?

Et demain, une fois que les quelques 500 joueurs (approximativement puisque le record de 3000 inscrits a déjà été dépassé au moment où nous écrivons ces lignes, et que 16% du field se hissera en Day 2, dans l’argent) auront repris leur place, tout arrivera. Des shortstacks d’une demie blinde entameront une remontée fracassante, parfois brisée en plein vols ; des joueurs à l’aise feront le squeeze de trop, se prendront le mur d’une mauvaise « rencontre »/set-up ; d’autres partiront en maugréant qu’ils « avaient l’équité de toutes façons ». Vu que tout peut arriver, autant s’y préparer.

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Coverage

[Finale WiPT Paris — Journal off] La Familia grande

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« Toutes les familles sont dysfonctionnelles, non ? » plaisantait un ami qui écoutait patiemment son confident du jour au restaurant, à la table jouxtant ma solitude de mi-journée. Sans me retourner, j’aurais pu opiner du chef : toute organisation sociale, humaine, est par essence dysfonctionnelle, bancale, en ébullition constante, au bord du précipice mais, miracle d’un grand ordre invisible, tout se passe le plus souvent assez bien.

Le monde du poker ne déroge pas à la règle. Le poker, une grande famille ? Bien évidemment : dans ses travers comme ses passions, dans ses relations et ses antagonismes, dans ses concurrences et ses alliances. Pour les « vieux de la vieille » qui ont connu le début du poker en France —amené, d’un côté, par Bruno Fitoussi au sein de l’Aviation Club de France, il y a plus de trente ans ; de l’autre, au grand public, par Patrick Bruel et le WPT puis la room maison, Winamax—, cette famille dysfonctionnelle a bien évolué, même si la plupart des acteurs de l’époque sont encore présents.

Contrairement au mondes des joueurs où les disparus jonchent les rivages mémoriels de ceux qui écumaient les cercles de jeux de l’époque et les premiers tours européens (à l’époque, c’était Amsterdam qui faisait figure de Graal des tournois du vieux continent), le business du poker se recycle et perd peu de forces vives. Il y règne, justement, un esprit de famille. Tout le monde, ou presque, a travaillé avec l’autre. Tout le monde se connaît. S’ignore ou se jauge, s’embrasse ou se charrie. Une famille, avec ses générations, ses cousins par alliance et ses branches éloignées. De l’époque des cercles de jeux, cette grande famille a gardé bien des acteurs, depuis essaimés au sein des clubs parisiens ou chez les casinotiers. L’heure n’est plus aux troubles financements des ces Associations de Loi 1901 sans but lucratif (un bon résumé de la quadrature du cercle de l’époque), mais aux sociétés commerciales clairement gérées. La « guerre des cercles » qui avait fait les choux gras de la presse police/justice est depuis longtemps remisée dans les archives familiales du poker. Désormais, même si la concurrence entre clubs est réelle, comme pour tout secteur commercial, la plupart du temps les calendriers de tournois sont décidés en toute intelligence, et sans guerre frontale. La famille a muri, elle s’est assagie.

Côté rooms online, le marché s’est lui aussi stabilisé, et même si les trois gros opérateurs français n’organisent pas encore des tournois tous ensemble —on n’a pas, à notre mémoire, de tel exemple dans l’histoire internationale du poker— il existe un podium désormais solide en terme de marché. Winamax, numéro 1 francophone, a plié le game, évité les rachats et offres agressives de l’international, et gère avec l’esprit de famille sa société. Il suffit d’entrer dans une salle de tournoi brandée W pour croiser des têtes habituelles depuis bien des années. Les fondateurs sont encore en place, l’équipe éditoriale et marketing est profondément soudée aux racines de la société. Une famille multiple, qui occupe plusieurs étages, mais qui fonctionne à dimension humaine.

Côté tournois live, c’est avec le même sentiment de famille que Texapoker fonctionne. Au-delà du père fondateur, taiseux et professionel, généreux et discret, qu’est Apo Chantzis, on croise ses fidèles lieutenants depuis des années, toujours aux postes, et même son propre frère. Une famille sur la route, comme une caravane de cirque qui s’arrêterait à chaque ville que la France et ses diagonales de la suburbia proposent, déplie ses tables, affiche ses logos et drapeaux, remise ses costumes et ses noeuds papillons pour offrir un spectacle rodé et affûté, chaque soir, avant de repartir vers d’autres horizons.

Les salles presse sont habitées du même sentiment de familiarité. Que l’on entre dans la salle presse du World Poker Tour au Wynn à Las Vegas, tout en marbre rose et moquette épaisse, ou dans celle du WiPT, au fond du grand hangar de la porte de Versailles, on croise des profils qu’on voyait déjà lors de nos propres débuts, en 2005, dans les couloirs réfrigérés de l’Amazon Room au casino Rio à Las Vegas. Bien sûr, les corps se sont épaissis avec les années, les cheveux ont disparu ou grisonnent discrètement, mais les mêmes amitiés et inimitiés y règnent. Les rumeurs et les disputes, l’entraide et les mesquineries, les coups de main comme les paranoïas y ont la même place que dans n’importe quelle branche de la société. Comme dans une familia grande il n’y a pas de raison de revenir en arrière quant à ses propres jugements hâtifs. Le temps n’efface rien, tout au mieux laisse-t-il à chacun d’écrire ses propres vies, loin des tapis verts : l’un est devenu romancier à succès, l’autre a affronté la société bourgeoise du cinéma de la FEMIS et rêve de long-métrages, certains vivent leur passion de gloire et d’autres de famille. La famille est grande, élastique, multi-dimensionnelle, et accueille à chaque nouveau stop quelques têtes encore inconnues. Les prochaines générations, elles, ont encore le temps de se créer leurs propres embrouilles et drama intimes.

Jérôme Schmidt

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