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Le journal Off du poker

Le fisc s'invite dans la partie (dossier joueurs et fiscalité)

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Le couperet était inévitable, mais il y a des menaces qu’on préfère ne pas voir venir : depuis quelques mois, l’administration fiscale s’est penchée plus sérieusement sur le microcosme du poker professionnel et a décidé de donner un grand coup de pied dans la fourmilière, signifiant des redressements à plus d’une centaine de joueurs professionnels ou gagnants d’une grosse somme en tournoi ces dernières années. L’hécatombe est totale, et les réactions de la part des joueurs se font de plus en plus publiques, avec plus ou moins de discernement et de distance : Jérôme Zerbib, Philippe Ktorza, Adrien Allain, Julien Brécard ou encore Rémy Biechel sont récemment montés au créneau sur les réseaux sociaux, appelant à un véritable moratoire de la fiscalité concernant les gains au poker. Il faut dire que la législation a toujours été floue sur la question, et que la nature même de l’activité de joueur de poker est au cœur des questionnements. Pour Olivier Karsenti, avocat au Barreau de Paris, c’est le fondement du jeu de poker qui est ici mis en cause : « Est-ce un jeu de hasard ? Est-ce un jeu d’adresse ? À partir de quand un joueur devient-il un joueur professionnel ? Quel faisceau d’indices doit être validé ? Quel statut, ensuite, donner au joueur de poker professionnel ? »

L’administration fiscale n’a, pour l’instant, pas fait énormément de distinctions à ce sujet. La jurisprudence Petit – du nom d’un des premiers jeunes joueurs ciblés par le fisc, il y a quelques années – a permis à l’administration d’affirmer que le poker n’est pas un jeu de « pur » hasard et qu’il devient un jeu d’adresse s’il est pratiqué très régulièrement. Étrange changement de paradigme pour une activité à dimensions variables ? Il faut dire que l’ambiguïté sur le statut du poker ne date pas d’aujourd’hui : avec la démocratisation du jeu, l’ouverture des rooms online et la forte communication qui a découlé de la légalisation du .fr encadrée par l’ARJEL, le poker est sorti de son statut symbolique de jeu de hasard, pratiqué uniquement dans les cercles de jeux et les casinos, pour acquérir une nouvelle aura, souvent véhiculée par les communicants et les joueurs eux-mêmes, celle d’un sport qui implique une préparation physique et mentale (apparition en masse de coachs de joueurs), un esprit d’équipe (les Team Pros) ou encore des tutoriaux de stratégie afin d’améliorer son jeu. En substance, ce que dit l’administration fiscale se résume à cette approche : si le poker n’était que hasard, pourquoi toutes ces nouveautés seraient-elles apparues ? Il est d’ailleurs assez ironique que, de l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, les rooms online militent pour que les États et l’État fédéral acceptent le statut non hasardeux du poker. C’est par cette seule et unique hypothèse que le jeu pourra être légalisé. Légalisé, oui, et donc taxé. Depuis le 12 septembre 2012 et la refonte de la doctrine administrative, intégralement en ligne désormais, doctrine qui fait maintenant référence au jugement Petit du tribunal administratif de Clermont-Ferrand précité et à la réponse ministérielle Filipetti, c’est le statut du joueur de bridge qui a, en quelque sorte, été étendu, selon l’administration au moins, à celui du joueur de poker, rattachant ainsi de manière artificielle le joueur de poker à un statut déjà existant, même s’il n’est en rien équivalent. Vincent Chaulin, avocat au Barreau de Paris, spécialiste en droit fiscal, s’interroge : « Est-ce à l’administration fiscale de définir le régime fiscal du joueur de poker ou au législateur, seul compétent pour définir les règles en matière fiscale selon l’article 34 de la constitution ? Quand on relit l’exposé des motifs de l’amendement Filipetti à la loi de finances rectificative pour 2011 en novembre 2011 qui tendait à introduire un régime fiscal du joueur de poker et qui avait été rejeté, on comprend que, pour le législateur lui-même, la situation n’était pas claire. »

S’il est une certitude, et ce pour toutes les parties en présence, c’est que le flou juridique qui a longtemps entouré le statut du joueur de poker ne doit plus durer. Rémy Biechel, récemment contrôlé, est même très modéré sur la question : « Je suis enfant d’ouvrier et mon père qui a gagné 1 800 € toute sa vie payait des impôts : je trouve donc cela tout à fait logique de payer moi aussi ma part de l’effort de solidarité nationale. » Mais pour l’ancien membre du Team Pro Barrière, il faut raison garder et surtout intégrer à la taxation toute la complexité et la diversité de l’activité des joueurs de poker : « Un joueur ne fait pas que gagner, bien au contraire. Il faut pouvoir enlever la somme des buy-in globaux aux gains, mais aussi intégrer les frais d’hôtel, de déplacement, de communication, et bien évidemment des pratiques tels que le stacking, le swap et les deals en cas de table finale. »

Vu de l’extérieur, le monde du poker peut paraître particulièrement intéressant pour une administration fiscale qui ne connaît pas obligatoirement toutes les subtilités d’un tel milieu. « La médiatisation du poker, ainsi que sa légalisation en France, ont permis une meilleure traçabilité des gains de tournoi. L’administration fiscale a réalisé qu’il y avait peut-être beaucoup d’argent à taxer, mais c’est faire preuve de méconnaissance du dossier. » Rémy Biechel pointe son cas personnel : « On me demande actuellement 500 % de mes gains sur les années concernées : entre les taxations pour activité occulte, les rappels de retard et l’application basique de l’assiette d’imposition, cela devient absurde. J’avais contacté les impôts en amont, en leur précisant tous mes buy-in, preuves d’inscriptions aux tournois à l’appui, ainsi que des justificatifs de frais de déplacement et d’hébergement pour ces compétitions. Résultat : aucun billet d’avion n’a été intégré dans leurs comptes, et seulement quelques hôtels… C’est parfaitement absurde, comme si j’allais à Las Vegas à la nage… » Mais restent aussi les questions importantes du stacking, du swap et des deals en table finale. Pour le stacking, comment prouver qu’un joueur vous a financé l’inscription à un tournoi ? Pour le swap, comment légaliser un accord oral souvent passé au détour d’une table à une connaissance du circuit qui vous échange 2 ou 5 % des gains de ce tournoi qui va commencer ? Quant au deal, souvent interdit par les circuits de poker, s’il n’est pas validé par le casino ou l’organisateur du circuit, aucune preuve tangible ne peut être amenée.

La pénalité la plus forte, pour activité occulte, est de 80 % supplémentaires, mais elle peut facilement être contredite, souligne l’avocat Olivier Karsenti : « Le principe d’activité occulte ne tient que si le joueur ne peut présenter de comptabilité à l’administration fiscale. Si celui-ci dispose ne serait-ce que d’un début de comptabilité, avec des preuves de buy-in, de frais ou de stacking, cette surimposition est rapidement démontable. » Le fisc se base uniquement sur ce qui est traçable : les gains en ligne sur les rooms .fr, les dépôts sur les comptes en banques (chèques, virements, liquide) ou les bases de données de gains en tournoi. Mais, précise Olivier Karsenti, il faut aussi pouvoir justifier de ses buy-in : comment expliquer ces buy-in répétés à 10 000 €, si vous n’avez aucun gain et aucun travail déclaré… Le piège peut ainsi marcher dans les deux sens : est-ce que cela implique une forte activité en cash-game ? D’autres activités occultes ? Comme souvent dans ce genre de dossiers, l’administration fiscale tire un fil qui peut l’amener très loin dans le redressement.

Mais à chaque jour une situation personnelle différente. C’est d’ailleurs toute la complexité de ce dossier. En effet, certains membres de Team Pro ont une activité professionnelle par ailleurs – dirigeant de société, agent immobilier, etc. – qui leur assure des revenus réguliers et conséquents. Le cas d’Alexia Portal, soulevé par son ami du Team W Manuel Bevand, est instructif : la vérification de comptabilité effectuée par l’administration fiscale n’a pas eu de suite pour plusieurs raisons. Les principales : « Alexia est comédienne et animatrice en plus d’avoir fait partie du Team Winamax pendant plusieurs années avant de rejoindre Full Tilt. Sur les années contrôlées (2003-2010), Alexia a fourni l’intégralité de ses fiches de paie (elle est intermittente et salariée). Elle a fait preuve d’une transparence totale en montrant que tous ses revenus liés au poker sont passés directement sur son compte en banque (donc pas de volonté de dissimulation). À la demande de son inspectrice, Alexia a déclaré le nombre de jours dédiés au poker et à ses autres activités. Ayant conclu qu’Alexia jouait environ 20 jours par an et travaillait le reste de l’année, la qualification comme joueuse pro n’était pas crédible. Les sommes concernées (principalement les 70K de gains qu’elle a faits en 2010) ne dépassent pas de beaucoup les revenus de son foyer fiscal », résume ainsi son ancien coéquipier. On peut ainsi esquisser, en creux, un début de définition du joueur professionnel (importance de l’activité au cours de l’année ; importance des gains nets par rapport aux autres revenus du foyer), pour se diriger vers un indispensable statut fiscal du joueur professionnel de poker. « C’est quelque chose de vital d’en passer par là », remarque l’avocat Olivier Karsenti. « Les joueurs ne sont pas opposés à l’idée de payer des impôts, bien évidemment, mais le statut proposé doit être adapté à la réalité de ce groupe d’individus. » Julien Brécard abonde dans ce sens : « Je souhaite payer des impôts sur mes gains de jeu afin de pouvoir obtenir un statut dans cette société […] J’ai des revenus, je les déclare depuis septembre 2000. Sauf qu’il était spécifié que le poker était un jeu de hasard donc je n’ai pas déclaré mes gains de jeu depuis que je joue. »

De nombreuses questions restent ainsi en suspens : comment, le cas échéant, imposer des joueurs pros dont le revenu serait… négatif ? Selon l’avocat Vincent Chaulin, « il serait cohérent, au titre de l’année où une perte a été globalement réalisée, de reconnaître un déficit imputable sur les autres revenus de l’année en cause ou des six années suivantes puisqu’il s’agit, selon l’administration, d’une activité professionnelle. On peut se demander alors si le poker est une manne fiscale pour l’administration ou une fausse bonne idée pour les finances publiques puisqu’il n’est pas exclu qu’il y ait plus de perdants que de gagnants… » Doit-on et comment, également, prélever l’impôt sur les années passées, et quel régime appliquer alors que pendant longtemps, la loi d’imposition sur les jeux de hasard (le poker étant un jeu de casino et de cercle) semblait toute naturelle ? Quelles liquidités possèdent réellement les joueurs de poker pros et semi-pros au bout de plusieurs années de circuit ; les impôts ne s’attaquent-ils pas vainement à un groupe de personnes qui ont manié beaucoup d’argent, peut-être, mais qui sont très largement déficitaires au final, en incluant les frais réels, ou tout du moins très peu bénéficiaires ? N’est-ce pas également pousser cette communauté notoirement nomade à un exil fiscal systématisé et massif ? N’est-ce pas les détourner du online en .fr vers l’illégalité du .com ?

Les joueurs, quant à eux, sont très pessimistes. Pour Rémy Biechel, c’est « la mise en pause indéfinie de ses activités poker, jusqu’à négociation avec l’administration fiscale. » Chez Julien Brécard, c’est la question de l’exil fiscal, femme et enfants sous le bras, pour retrouver ses amis grinders depuis longtemps partis à Londres, Malte, le Mexique ou la Thaïlande. Du côté d’Adrien Allain, l’angoisse du redressement de sa plus grosse année de gains : « J’ai reçu une réponse de mon inspectrice des impôts, qui me demande 312 000 € pour 2009/2010 sachant que j’en ai touché, net, 270 000 € environ. Du coup je préfère ne pas penser à 2011 car ils devraient me demander pas loin d’un million… » Philippe Ktorza a une vision plus globale : « Tout le monde du poker est bel et bien en danger. Nous sommes tous concernés : amateurs, pros, rooms, presse, croupiers, etc. Tout le monde du poker doit montrer l’exemple et se mobiliser. Si nous ne trouvons pas de solution saine et juste, comme payer un impôt, oublier le passé, ou du moins retirer toute forme de pénalités (en sachant que les joueurs de poker n’ont pas fraudé sciemment), bref une solution pour permettre à notre jeu favori de (sur)vivre, alors je ne donne pas cher de l’avenir du poker en France… » Olivier Karsenti est du même avis : « L’administration fiscale doit prendre des décisions et des aménagements afin de ne pas tuer dans l’œuf le poker en France. Tant que les joueurs ne seront pas allés à Bercy ou au tribunal administratif afin de clarifier leur statut et remettre en cause l’analyse fiscale de l’administration, le paysage ne sera pas plus clair et l’imposition paraîtra injuste. »

Jérôme Schmidt

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[Journal des WSOP – 14 juillet] Et au Septième Jour, Hairabedian ressuscita

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Le feuilleton (web) de 2022, pour certains membres de la communauté poker, n’est pas diffusé sur de grandes plateformes de productions vidéo. Il suffit plutôt d’aller traîner du côté de l’un des nombreux comptes de réseaux sociaux de Roger Hairabedian, afin de vivre en direct les affres d’un homme qui a longtemps été considéré comme l’un des plus populaires du circuit. Proche des joueurs, enchaînant Pagnolades avec son accent certifié 100% Vieux Port, celui qui a notamment remporté deux titres WSOP-Europe et activement travaillé à l’essor des tournois de poker au Maroc, avait bien commencé sa vie sur le plan sportif, judoka de renom ayant croisé le fer (et les clés de bras) dans des compétitions internationales au sein de l’équipe de France, à la fin des années 1970s. Basculant dans le monde des arrières-salles du poker à la marseillaise, il a fourbi ses armes dans un monde interlope où le cash change de main en toute discrétion, faisant un tour par la case prison par la suite.

C’est en 2009, après avoir remporté le Grand Prix de Paris à l’ACF pour plus de 400 000€, que Roger Hairabedian a commencé à se frotter aux réseaux sociaux. Ce move, qui part d’une bonne intention, va être déterminant sur la suite de sa carrière. Né en 1955, il s’adapte pourtant très vite à l’exercice, ouvrant ainsi un fil de discussion à son sujet sur les forums de Club Poker. Treize ans plus tard, le million de vues a été dépassé et quelques 10 000 réponses ont été formulées. Au départ, tout se passe bien : les jeunes grinders aiment le franc parler du personnage qui manie, comme ses cadets, facilement l’ironie. Le joueur a de la profondeur, un vécu qu’il assume, et n’a pas été encore dépassé par son personnage public, surnommé « Terminator » ou, plus populairement « Big Roger ». Entre les deux générations, une complicité s’installe, allant jusqu’à encourager le joueur aguerri à reprendre en main sa santé —il est alors en surpoids— et à continuer de partager ses anecdotes.

Flash Forward. Alors que le COVID touche l’Europe en ce début d’année 2020, le BIG, comme il se fait désormais appeler, fourmille de projets de Poker Tour. Son idée, qu’il affine depuis déjà bien des années, est d’instaurer un large payout —30% environ— afin de préserver l’écosystème des joueurs récréatifs, et les faire revenir à ses évènements sans les ruiner. Il a déjà opéré dans plusieurs casinos du Maghreb en tant que consultant, ainsi que pour quelques compétitions hexagonales, mais, souvent, l’aventure s’est mal finie, pour des raisons qu’aucune des deux parties n’explicite vraiment. L’homme a accumulé des regrets et rancoeurs —jamais membre d’une Pro Team, évincé de l’organisation de tournois au Maroc, non sélectionné dans l’éphémère ‘équipe de France de poker’ mise en place par Alexandre Dreyfus, source de moquerie des ‘poneys’ d’internet, comme il les surnomme. « Roger Patrick Hairabedian » est devenu Le BIG, et son personnage a désormais pris le dessus sur le joueur sincère qu’il a été.

Durant ces trois dernières années, suivre les réseaux sociaux de cet alter-ego démiurge, c’est faire une plongée tête la première dans les eaux parfois troubles du milieu du poker low/mid-stakes, dans le quotidien de casinos de pays exotiques (Chypre, la Roumanie, etc.), mais aussi tenter de suivre la dérive presque maniaque d’un homme que presque personne ne semble plus pouvoir suivre. Il faut dire que Roger Hairabedian a dû là encore affronter l’adversité : l’un de ses trois fils (un trio qu’il surnomme affectueusement Le Bon, La Brute et le Truand) a eu affaire avec la justice marocaine en plein covid pour de supposées parties de poker illégales à Marrakech, et la paranoïa s’est installée dans le clan quant à l’identité de celui qui aurait « balancé » ; les tentatives de lancement de son « Big Marvelous Poker Tour » se sont soldées par divers échecs, la faute aux équipes, à l’homme ou aux casinos associés — personne ne sait jamais vraiment le déterminer ; des clashs sans fin avec des petites glorioles du web, comme Adrien Guyon, ancien sponsorisé Winamax et coach à ses heures de joueurs en ligne ; une équipe « félonne » d’anciens collaborateurs qui aura tenté de lancer un autre circuit low/mid-stakes sous le patronyme de « Player One », etc.

Le dernier scandale en date (du mois de juin, une éternité en « temps BIG » puisque les rebondissements se suivent et se multiplient plusieurs fois par jour sur ses réseaux sociaux) est à la fois une dénonciation sous fond de violons synthétiques d’une certaine Angélique Amar, à propos de malversations supposées de l’équipe du BIG — accusation qui trouvera une réponse sous la forme de vidéos face caméra déversant menaces et insultes à 5h du matin, en direct d’une boîte de nuit chypriote, par le BIG ayant vidé une bouteille de vodka ; puis quelques jours plus tard, un tournoi « Marvelous » à Chypre dont on n’aura jamais connu les chiffres de participation (a priori faibles) et dont la cagnotte a mystérieusement disparu au moment de payer les joueurs. S’en est suivie une semaine du « BIG mène l’enquête » à coup de vidéos iPhone qui donnent mal au coeur, où l’homme tente plus ou moins de justifier le trou dans la caisse (« détourné par l’agence de voyage », « les associés » ou « le casino », au choix) avant d’annoncer d’autres compétitions « Marvelous » sur la même île, mais dans d’autres établissements. La saga brandée Netflix n’est jamais loin, et lui-même ironise à ce sujet. Sa communication, singulière, n’est pas inintéressante : il sature littéralement d’informations, parfois contradictoires, change de ton et d’approche selon les heures de la journée (tantôt menaçant, tantôt énervé, tantôt plein d’humour) et ne laisse jamais le terrain libre.

Qu’importe, peut-être, le vrai du faux. Le BIG le sait-il d’ailleurs vraiment ? Dans ce monde de casinos sis dans des paradis fiscaux, d’intermédiaires étonnants et de cash qui circule de main en main sur fond de mauvaise euro-techno, de bars lounge éculés, de palaces grandiloquents et isolés, l’oasis est souvent inversée, double reflet d’une réalité si complexe et en marge qu’elle n’est plus qu’une chimère où tout un chacun tente d’y trouver une justification à sa destinée.

Pour qui est éligible à l’empathie, ainsi suivre les aventures du BIG ne peut que soulever un élan de sympathie humaine. L’homme est, visiblement, aux abois financièrement —il ne le cache d’ailleurs pas— et dans une sorte de fuite en avant qui fonctionne invariablement comme une courbe asymptote, chaque nouveau projet fait place à un autre, plus grandiose et démentiel, avant de mourir sans avoir jamais existé. Prague n’a pas fonctionné ? Qu’importe, allons en Bulgarie. Mal accueilli là-bas? Il y a bien sûr la « marvelous » destination roumaine. Ou chypriote. Ou sénégalaise. Ou américaine. Ou arménienne (la patrie de coeur de Roger Hairabedian). Entre temps, passent des vidéos du BIG, casquette à l’envers, en train de faire semblant de mixer de l’italo-disco sur une plage bulgare ou entonner en t-shirt Dolce Gabanna des mélopées d’Aznavour ou Joe Dassin dans d’improbables karaokés after hours.

Alors que le BIG était à terre, après un énième rebondissement négatif à Chypre —il avouait, dans l’une de ses dizaines de vidéos quotidiennes vouloir jeter l’éponge—, un grand bruit blanc s’est imposé pendant 48h sur son compte Facebook d’habitude si chargé en sessions de karaoké, vidéos clash, et autres réunions matinales avec lui-même quant à ses projets à venir. Alors qu’on le voyait souvent accompagné de son clan familial —ses fils et surtout son épouse Monique surnommée amoureusement ‘Nefertiti’, fidèle parmi les fidèles—, le BIG apparaissait bien seul, à se battre contre les moulins à vents chypriotes, Don Quichotte échoué et mis à terre par plus roués que lui, les bras désormais couverts de tatouages effectués à la va-vite : un drapeau arménien, un autre chypriote, un américain et une allégeance typographique à Jésus Christ… En réaction à ses publications, on pouvait apercevoir des commentaires de croupiers déçus de ne pas avoir été payés d’un évènement passé, ou un joueur turc s’agiter quant à une dette supposée…

Le BIG était submergé, jusqu’à ce qu’une lueur quasi christique (la rédemption qui, en langage poker, se traduit par « se refaire ») illumine son horizon proche : Karim Rebei, un de ses « poulains, pur-sang arabe qui n’a rien à voir avec les poneys d’internet », était chipleader du Main Event des WSOP à Las Vegas, à une cinquantaine de joueurs restants. Et à lire le BIG, c’était lui qui avait « fait » Rebei, sur la scène très active et interlope du poker nord-africain, quelques années plus tôt. On pressentait l’excitation du BIG de se refaire, lui-même partageant des captures d’écran de discussion avec Rebei où il demandait au futur (gros) ITM du Main Event un peu de cash, et de considération médiatique.

Clap. 48h de silence sur les réseaux sociaux, et une nouvelle vidéo s’allume sur le compte Facebook du BIG. C’est le Day 6 du Main Event des WSOP, et l’homme, t-shirt rouge ample, casquette dorée, large croix autour du cou, vient de débarquer à Las Vegas. On le disait « tricard du boléro », interdit de casino au Nevada pour de supposées grosses lignes de crédit jamais remboursées (la rumeur évoquait 400 000$, au Bellagio – lui-même avoue une dette de 200 000$ non encore remboursés depuis plus de dix ans), le voilà qui déjoue les pronostics et arrive, le souffle court, dans les travées des casinos Paris et Ballys. Il vient voir son « pur-sang arabe », et vibrer avec lui. Rebei est alors chipleader à 20 joueurs left, avec 50 millions de jetons devant lui et la gagne à 10 000 000$ en ligne de mire. Avec ce tapis, il fait table finale, voire Top 5 obligatoirement, assène le BIG. Et il compte bien toucher sa part de rêve (et d’ITM) en arrivant sur place.

C’est sans compter sur le style de Rebei, qui paye beaucoup préflop, et pense toujours savoir d’en tirer par la suite avec des bluffs et des contre-bluffs. Cela a réussi 6 jours durant, à force de confrontations qu’il gagne à chaque fois, des Roi-Dame contre paire d’As à tapis, et autres « horreurs » certifiées. L’homme marche sur l’eau, comme si son pseudonyme Facebook « DiamondsDiamonds » où il étale sa vie rêvée entre Dubaï et autres resorts réservés à ceux qui gagnent vite et flambent avec dextérité, allait enfin pouvoir s’affranchir de tout, et trouver l’argent nécessaire pour assumer ce mode de vie surfait. Mais au Day 7 du Main Event, Rebei a mordu la poussière, éliminé en seizième place du Main Event, se « contentant » de 410 000$ seulement, brûlant ses jetons mal gagnés en quelques mains.

Au Septième Jour, après cette élimination le BIG a disparu, et Roger Hairabedian a ressuscité. Adieu les fanfaronnades et les bons mots, place à un homme essoufflé, brisé, « déprimé » (selon ses termes), qui passe le temps à ressasser son rêve brisé (celui d’un autre homme pourtant, ce poulain trop fringuant qui n’a pas su s’arrêter et baisser le rythme) aux tables des Daily Tournament de cette fin de WSOP, au moment où tout le monde quitte Vegas, essoré par les buy-ins, par les filles facilement onéreuses, par l’inflation galopante (1$=1€), par la guigne, par la dépression du désert, par le manque des êtres chers. Face caméra, c’est Roger Hairabedian qui parle, quelques dizaines de secondes. La croupière le rappelle à l’ordre : pas de téléphone à table. Au Septième Jour, celui que tous les « poneys » et autres observateurs du poker apprécient depuis plus d’une dizaine d’année, est apparu, nu et ressuscité, avec le corps massif d’un homme au passé singulier, en proie à l’angoisse de l’avenir. Il est resté ainsi face à nous, en toute franchise, quelques instants, avant de disparaître à nouveau. Au Huitième Jour, le BIG est réapparu. Il va lancer le BPMT Las Vegas. Ou Los Angeles. Ou Chypre. L’avenir le lui dira.

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[Journal des WSOP — 27 juin] Pour toujours un peu plus d’action

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Comment vivre les WSOP, à des milliers de kilomètres de Las Vegas, comment vibrer, perdre ou gagner comme les pros et amateurs qui ont fait le grand saut et ont offert leur chance et leur bankroll aux tables climatisées du désert du Mojave ? Comment, virtuellement, avoir un peu d’action ? Derrière ce mot transparent ou presque (en anglais, l’action, c’est avoir une part de l’investissement d’un joueur engagé dans un tournoi) s’ouvre un univers qui n’a jamais véritablement décollé en Europe, celui de stacking de joueur.

Pour la première fois, on apercevait par exemple Bruno Fitoussi (également créateur de Poker52, ndlr) ouvrir pour la première fois publiquement son action aux joueurs anonymes, via une plateforme reconnue pour son très grand sérieux, Pocket Fives, pour un 10 000$ PLO, entre autres, à un « prix » (le markup) le plus intéressant possible, à 1 contre 1, à hauteur de la moitié du buy-in. En gros, si Bruno Fitoussi gagne 100 000$ dans le cadre de ce tournoi, il en gardera la moitié, et le stackeur anonyme qui l’aura financé à hauteur de 500$ (soit 10% du stacking disponible) touchera 5000$… Pour le Main Event (qui sera joué, avec ou sans stacking), le joueur français propose un markup plus élevé, à 1,2. Dans ce cas, le stackeur qui aurait financé à la même hauteur toucherait 5000/1,2 soit 4000$.

Le concept du stacking par des sites spécialisés fait cependant encore débat. Hier, sur Twitter, un joueur et influenceur américain, Johnnie Vibes, partageait un message privé d’un « fan » qui lui demandait quand il pourrait avoir une part d’action de ses tournois. Vibes, qui n’avait jamais fait cette démarche, disait hésiter. Très vite, Tony Dunst, figure charismatique du World Poker Tour, faisait alors entendre une voix assez rare sur le sujet : « Ne vends pas d’action, si tu n’en as pas besoin. Il y a plein de façon de faire vibrer tes fans, sans avoir à vivre cette situation gênante qui consiste à leur prendre leur argent… » Joey Ingram, l’une des personnalités les plus en vogue du TwitterPoker américain, prenait quant à lui le contrepoint, assurant que le stacking était, à la manière du sports betting, une façon pour les anonymes de vivre plus intensément la compétition des professionnels.

Au delà des comptes et des chiffres, des rêves de fortune sans même toucher une carte, le débat autour du stacking anime encore les discussions entre joueurs pro. Il y a deux jours, une grindeuse américaine « offrait » 3% de son Main Event à un joueur handicapé qu’elle avait rudement traité à table. On le sait, même si tout est flou, les swaps entre pros (échange d’action entre deux joueurs participant au même tournoi) sont courants, et sont souvent accusés de fausser l’esprit de compétition dans les tournois à petits fields mais gros buy-in, puisque la variance est lissée pour ceux qui possèdent, au sein d’un petit groupe, de l’action commune.

En parallèle continue toujours le stacking de pros par des whales qui préfèrent ne pas aller au combat directement. Les rumeurs de pros ayant vendu plus de 100% de leur action se sont d’ailleurs parfois révélées réelles, après que le vainqueur d’une compétition à Monte-Carlo ait renégocié avec ses financiers : en gagnant le tournoi, il devait plus d’argent qu’il n’en gagnait… Et c’est sans parler des semi-pros prenant l’argent de leurs stackeurs, oublient de buy-in pour le tournoi concerné, et plaident le bust aux premiers levels ; ou ce vainqueur du Main Event WSOP, Jamie Gold, qui voulait renégocier son contrat de stacking après avoir décroché le titre et ses quelques 12 000 000$…

De grands champions ont souvent été soupçonnés d’être les horse de financiers hong-kongais ou américains, ne jouant jamais sur leur argent afin de se refaire ; récemment, un milliardaire stackait encore des joueurs dans le 250 000$, comme on mise aux courses. Il y a quelques années encore, les scènes, aux WSOP, d’hommes de main attendant des joueurs ITM devant des centaines de milliers de dollars à leurs stackeurs étaient monnaie courante. A Macau, ou lors de Series aux buy-in mirifiques, on aimerait connaître la réalité de l’action réelle aux tables entre jeunes multimillionaires du web, joueurs broke, Triades bien achalandées et swaps à tout va. Qu’importe, tant que le spectacle, et l’action, sont au rendez-vous.

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Le journal Off du poker

[Journal des WSOP — 18 juin] Rocking Las Vegas

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Le monde du poker sait aimanter les trajectoires folles, les particules élémentaires, les destins sans point commun avec le quotidien. Lib(éraux)-Lib(ertaires) (la plupart des joueurs), fous de MAGA aux carrières étourdissantes (James Woods, l’acteur inoubliable de tant de films, de Videodrome à Il était une fois en Amérique), Texans hyper-chrétiens aux arrangements intimes avec leur foi (Doyle Brunson en tête), scammers en tous genres (il suffit de regarder le forum consacrés aux joueurs indélicats sur 2+2, et vous aurez un certain who’s who du poker américain), justiciers newborns (Daniel Negreanu), apolitiques invertébrés (Yoh_viral, parmi tant d’autres) et même anarchistes intellos (en son temps, Mickey Appleman) comme le dernier vainqueur d’un bracelet WSOP (le HORSE à 1500$), Steve Albini.

La politique n’a pas cours autour des tables des WSOP, mais elle se joue plutôt sur Twitter, par blocages, retweets et shitstorms interposés. Steve Albini, lui, débat peu, mais se déclare souvent. Sa page est une heureuse foire d’empoigne et de franchise entre cette Amérique post-MAGA qu’il conchie. Loin d’un Negreanu qui applique ces terribles notions binaires de bien et de mal, et qui assume son schéma moralisateur, Albini est l’une de ces rares voix libres et singulières du poker-twitter. Il déboulonne les idoles de manière jouissive, se moque ouvertement de ceux qui ont pour cheval de bataille réactionnaire la question du genre et relancent leur carrière en se rangeant du côté de l’intolérance (l’humoriste Ricky Gervais en tête), se moque de lui-même et son « babil poker incessant pour les semaines à venir », partage de la musique noise et autres expérimentations soniques.

Il faut dire que Steve Albini n’est pas n’importe qui : avant d’être un joueur passionné (son pseudo twitter est d’ailleurs @electricalwsop), il a fait une énorme carrière de musicien et de producteur. Natif du Montana, dans ce trou incroyable qu’est Missoula (la ville, entre autres, qui aura vu l’une des plus belles voix de la littérature nature-writing américaine s’épanouir), il a vécu toute sa vie au beau milieu des rednecks à la fois libertaires et réactionnaires. Il n’aura gardé d’eux que le premier trait, et aura transporté sa folie créative dans un rock minimaliste et avant-gardiste. Côté production, il a même créé le son de plusieurs énormes groupes indépendants : Nirvana (pour In Utero) mais aussi les Pixies, PJ Harvey, les Canadiens de Godspeed You Black ! Emperor, Slint, les Stooges d’Iggy Pop, etc. En remportant cette nuit son deuxième bracelet de sa carrière, Steve Albini aura une fois de plus confirmé que tout ce qu’il touche se transforme en or, brut.

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