Une expression revient souvent autour de la table de poker, même de façon implicite : rien de personnel. C’est l’apanage d’un jeu froid, détaché des contingences matérielles, sans aucune donnée égotique ; un jeu idéal, sûrement, mais souvent mis à mal par les émotions, l’historique des affrontements avec ses adversaires, sa forme et sa psyché du moment. Revenir au personnel, dans les duels de poker, c’est prêter le anc à des leaks qui peuvent coûter cher.
Cela fait des décennies qu’on se chambre entre adversaires, qu’on s’insulte plus ou moins modérément – sans que l’on sache vraiment si cela fait partie du jeu ou si c’est dépasser les limites de la correction – pour le plaisir parfois modéré des spectateurs qui ont ni par se lasser.
Les tréfonds des réseaux sociaux ont tendance à encore trouver un soupçon d’excitation à ce genre de défis vulgaires qui reposent sur une supposée masculinité triomphante : le joueur « posera-t-il ses couilles », comme le font remarquer une horde d’anonymes excités par le goût du sang ? Et quand c’est une femme qui lance un bluff, on ne fait que changer l’organe à poser. Comme si bluffer ou payer demandait un courage physiologique animal dont on ne saurait trop pourquoi il serait supérieur à l’intelligence d’une décision.
C’est, en substance, ce qui a animé mollement les débats de Roger Hairabedian qui défie à tout va quelques joueurs online plus ou moins oubliés du poker hexagonal. En cet automne, cela aura été Adrien Guyon, un ancien joueur sponsorisé reconverti en coach, que l’on aura aiguillonné via quelques milliers de messages et vidéos postés de façon maniaque. Tout cela pour dix heads-up à 1 000 €, en live. Un non-événement qui ne donne pas spécialement une image constructive de ce que devrait être le poker de tournoi et d’une communauté française en quête d’exploits.