Chaque année, le Day 1 des WSOP est décrit par les observateurs les plus pessimistes (ou réalistes ?) comme un champ de bataille sanglant où « donkeys », « fishs » et autres amateurs arrivent, fleur au fusil, pour repartir, exsangues, saignés à blanc au bout de quelques heures. Un vaste massacre au cours duquel des milliers d’innocentes victimes se retrouvent égorgées presqu’immédiatement, dans un anonymat le plus total. Et le pire, c’est que chaque année —ou presque— le nombre de ces candidats au suicide augmente.
Hier, malgré le Black Friday, et deux premiers Day 1 alarmants (à peine 1 000 kamikazes sur la liste à chaque fois), les World Series ont pu claironner la bonne santé du poker Outre-Atlantique, avec ou sans le online, puisqu’a lieu en ce moment le troisième plus gros Main Event de l’histoire des WSOP. Une surprise, même pour les spécialistes du poker, qui tablaient entre 5 500 et 6 000 joueurs, pour voir deux derniers Day 1 culminer à plus de 3 000 joueurs…
Les meurtres, à Las Vegas, ont lieu sur Main St. Il y a trois jours, alors que le Main Event se lançait, accompagné par le regard désormais presque vide du « parrain du poker », expression consacrée pour la légende Doyle Brunson, un massacre avait lieu à quelques centaines de mètres des Casinos du Strip. Sept morts en quelques minutes, à la sortie de la morgue de Main Street, à un souffle seulement des fameux « Gambling Stores » de ce quartier des « antiquités »..
Sept cadavres, abattus à bout portant, pour un simple règlement de compte qui dégènére. Une histoire comme des centaines d’autres dans la vie de Las Vegas, passées sous silence par la Metro Police. L’origine du premier décès ? Deux bandes latinos des quartiers nord qui se croisent sur le pont reliant l’Excalibur au Riviera, un vendredi soir, à 3h du matin. De l’alcool en main, des filles un peu trop faciles, un regard qui dérape, des couteaux qui sortent, et Andres Armando Elena s’écroule, touché en plein ventre par trois coups de couteau de Victor Quijano. Quijano s’enfuie en courant. La police le retrouve au bout de six jours à son travail, à McCarran, où il était bagagiste.
C’est aux funérailles d’Elena que tout a dérapé à nouveau. Un ami du meurtrier qui passait par là, un drive-by shooting express depuis une vieille Ford Camaro. Un jour (presque) banal pour North Las Vegas, où les morts et les disparus se comptent par centaine chaque mois. Une ville-monde qui engloutit les corps, sans jamais les regimber, efface des vies dans l’indifférence la plus totale, et attire, le sourire aux lèvres, les âmes perdues en quête d’une renaissance.
(Durant l’édition 2023 des WSOP, nous tiendrons, à distance, un « journal off » comme nous le faisons depuis plusieurs saisons, afin de raconter à notre manière une autre vision du plus grand évènement poker de l’année)
L’épreuve a longtemps été un des rendez-vous phare des WSOP : le Championship de heads-up, désormais à 25 000$, a accueilli en ses rangs les plus grands noms du poker au fil des éditions, de Tom Dwan à Phil Ivey en passant par John Duthie ou Jason Koon. Le field, mathématiquement, doit être un multiple : 2-4-8-16-32-64-128-256… En 2023, il s’est arrêté à 64, pour un tournoi 6 étapes, avec 8 places payées. A ce jeu là, tout le monde observait à distance Doug Polk, une des figures les plus bruyantes du TwitterPoker, actif à la fois en ligne avec sa chaîne YouTube faussement polémique et en live puisqu’il possède un des plus gros clubs de poker texan, The Lodge, à Round Rock. Polk a écrit sa légende en étant l’un des joueurs de tête à tête les plus redoutés des tables high stakes en ligne, puis a continué à imposer son nom via les nombreuses polémiques qu’il fait et défait au gré des vidéos YouTube. L’homme n’a que peu de foi, peut planter des couteaux dans le dos de ses amis de la veille ou encenser ses ennemis du lendemain : peu importe l’avis, tant qu’il y a du click.
En arrivant au Heads-Up Championship des WSOP, Polk sortait d’une éprouvante session de cash-game télévisé, diffusé par le Hustler Club Casino. Rincé par les nuits blanches et les « million dollar buy-in » déposés sur la table à force de recaves, il ne semblait plus avoir le jus pour faire grande impression dans une compétition qui demande plus que jamais concentration et analyse de son adversaire. Il venait de louper, en streaming, quelques calls contre des bluffs de riches cryptomillionaires, de se faire essorer par Tom Dwan, ennemi non avoué depuis bien longtemps, et même s’il ne jouait qu’un quart de « sa main » —information révélée à Rob Yong, sur Twitter, qui se demandait combien de pourcentage de leur stack jouaient ces millionaires du cash-game—, Polk semblait à bout. Mais au fur et à mesure des rounds, et des flips 20/80 qui passent (un heureux QQ>>KK pré-flop en demie finale), il a finalement réussi à atteindre le dernier duel, contre le Canadien Chanracy Kuhn. Une dernière marche trop haute pour l’Américain aux 4 bracelets WSOP, qui aura succombé aux calls judicieux de son adversaire aux moments-clés de ce dernier affrontement, front contre front. Polk passera vite à autre chose : un autre gros cash-game, de préférence médiatisé, un autre clash sur la plateforme Spaces de Twitter, une autre polémique sans lendemain. Le clickbait est encore plus addictif que le jeu.
Le vainqueur, en septembre 2022, de l’APO 2500 au Club Circus à Paris, fait la route largement en tête à 9 joueurs restants de l’Event #2 des WSOP, un tournoi à 25 000$ qui a déjà rassemblé le who’s who du poker international, avec 207 entrées au total.
Pour le moment, Hallay a deux fois le tapis du deuxième en jetons et semble se diriger tout droit vers une belle performance…
(Durant l’édition 2023 des WSOP, nous tiendrons, à distance, un « journal off » comme nous le faisons depuis plusieurs saisons, afin de raconter à notre manière une autre vision du plus grand évènement poker de l’année)
Tout est prêt pour l’édition 2023 des World Series Of Poker : des salles immaculées sises au Paris et au Horseshoe (feu Bally’s), en plein Strip de Las Vegas ; une légion de croupières & croupiers, de chefs de partie, de serveuses & serveurs, le doigt sur la couture, attendant les premiers inscrits au tournoi à 25 000$ qui vient ouvrir ces quasi deux mois de compétition ; les hustlers en tout genre qui remontent Las Vegas Boulevard, hantent les bars à vidéopoker des casinos ou exécutent quelques tricks dans les ruelles perpendiculaires, au hasard de l’ombre et de la nuit. Tout est prêt, comme au générique d’une grosse production de cinéma, mais il manque encore le frisson du gamble, celui qui fait chavirer les têtes des pros les plus aguerris ou fait naitre des rêves fous chez les grinders low-stakes d’outre-Atlantique.
Il faut aller un peu plus loin, en Californie, du côté de Los Angeles, pour remonter aux sources de ce qui fait vibrer les observateurs du poker : c’est dans un casino connu uniquement depuis le « scandale du J-4 » qu’ont lieu actuellement les plus gros cash-game de l’histoire du poker télévisé. Le streaming du Hustler Casino Live fait le plein de vues dans le monde entier, malgré un casting un peu redondant, qui force le trait sur les personnalités clivantes —Nik Airball, en gambleur fou ; Doug Polk, en jock énervant et pénible ; des millionaires asiatiques aux fortunes supposées en cryptomonnaie ; Tony G, qui semble parfois jouer scared money ; le très sympathique Rob Yong, en grande gueule humaniste—, la nuit du 30 mai a été riche en émotions avec le retour d’un éternel revenant, Tom « durrr » Dwan. C’est autour de lui que se sont joués les plus gros pots : un call interminable face à un tirage raté de Doug Polk, pour plus d’1,2 millions de dollars ; un bluff contre Polk qui passe tout juste ; et surtout un call incroyable face à Wesley, un gambler d’origine chinoise aux poches sans fond, pour plus de 3 000 000$.
Dès lors, comment se motiver pour le poker de tournoi qui demande rigueur pendant plusieurs jours et de « passer entre les balles » des coinflips à plusieurs reprises ? Ces joueurs high-rollers prendront pourtant surement bientôt un jet privé (où les parties continueront) afin de se poser quelques jours au Big Game du Bellagio, de l’Aria ou du Resorts World ; ils flamberont quelques bullets à 25 000, 50 000 ou 100 000$ (le One Drop For One Million est désormais passé sous l’égide du WPT, organisé en parallèle du WPT Championship de fin d’année), multiplieront les prop-bets afin de pimenter les prizepools à six chiffres qui correspondent à un petit pot de cash-game. Pourtant, à voir la ferveur des vainqueurs des WSOP, à vibrer avec eux au rythme de leur survie et leur triomphe d’un Event pour la première ou la dixième fois, on aura tendance à se placer du côté de ces amateurs et ces professionnels —comme l’indéboulonnable Phil Hellmuth— qui placent l’exceptionnel (la victoire, les bracelets, la singularité, le symbolique) avant le business as usual : ces quelques millions de dollars de plus.