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Le journal Off du poker

Journal des WSOP (15 juin 2011) : Top of the world

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Dans un monde de variance absolue, la constance des champions est parfois le dernier rempart à la lassitude et au cynisme qui semblent avoir perclus le poker contemporain. A force de multiplier les compétitions, d’offrir du rêve préfabriqué au chaland et de le distribuer sans discernement, les organisateurs de tournoi ont tué dans l’œuf ce qui fait la magie intrinsèque du poker : un univers où seuls les grands joueurs devraient avoir une place, où tous ceux qui se retrouvent à rentrer dans l’histoire possèdent tous un don, une blessure, une faille, un génie qui les rend si singulier.
En remportant, avec une facilité quasi-déconcertante, un bracelet WSOP cette année, Bertrand « ElkY » Grospellier n’a fait que suivre la voie qu’il s’est tracée, il y a déjà près de 15 années lorsque, anonyme amoureux de jeux vidéos dans une banlieue du nord-est de la France, il a pris son destin en main, s’est télé-transporté vers la Corée du Sud, où il est vite devenu une idole locale, un gamin aux cheveux roses à la diction hachée qui faisait vibrer par stades entiers des amoureux du jeu Starcraft. Un Dieu vivant. Ou un extraterrestre, pour reprendre l’expression consacrée.

Tard dans la nuit, hier, à l’Amazon Room des WSOP, ElkY est entré un peu plus encore dans la légende. Il a réussi ce qu’aucun Français n’avait encore signé, la Triple Crown (gagner un EPT, un WPT et un bracelet WSOP), qui plus est dans une variante —le Stud— qu’il n’avait jusqu’ici quasiment jamais pratiquée. Béni par les Dieux —et donc, avant tout, par lui-même—, ElkY, d’une pâleur saisissante, a flotté, fantomatique et souriant, sur un heads-up qui aurait du à maintes reprises s’achever par une victoire de son adversaire. Non pas que le joueur français ait démérité, bien au contraire, mais son retard en jetons au départ du heads-up, frisait la mission impossible. Son adversaire, plus expérimenté que lui dans la variante, n’avait pas en lui ce qui distingue les gagnants des champions : cette capacité surhumaine à exploiter l’indicible, à aller chercher dans l’infra-inivisible la faille nécessaire. Face à ElkY, il a simplement déjoué, incapable de dépasser l’aura du champion, et de prendre à bras le corps une finale qu’il avait à portée de main. ElkY, lui, n’a rien lâché, menant un mano a mano de plus de 4 heures, jusqu’au confin de la nuit. Car, au moment même où son adversaire commettait l’erreur de folder son jeu à la troisième street alors qu’il ne restait même pas une mise à ElkY derrière lui, le Français savait déjà, en son for intérieur, que le plus dur était fait. Que la victoire prendrait du temps, certes, mais qu’elle était programmée.

Cet après-midi, en marge du tournoi short-handed à 1 500$, avait lieu la cérémonie de remise du bracelet du Français. Un passage obligé pour les nouveaux promus, avec hymne national à la clé et acclamations plus ou moins nourries de la foule. « Il y a ElkY… et les autres », nous soufflait ce matin Jean-Paul Pasqualini dans sa grande suite du City Center, dominant tout Las Vegas. « Et après, on voudrait nous faire croire que le poker n’est qu’une affaire de chance… », souriait, ému, Roger Hairabedian devant l’estrade en attendant le champion. « Tous les joueurs français sont contents pour ElkY, parce qu’il n’est pas comme les autres », renchérissait un autre joueur pro. « Mais tous n’ont qu’une envie : connaître la même chose. »

Le seul joueur présent dans la salle à avoir connu cette émotion, c’est David Benyamine. Celui que notre ami Benjamin ‘Benjo’ Gallen appelle affectueusement Le Meilleur Joueur Français du Monde s’est levé de sa table pour regarder arriver ElkY. Un prodige qui regarde s’avancer vers lui un génie. Deux joueurs hors-normes, aux destins croisés, deux personnalités totalement différentes qui vivent leur rêve du gambling à des vitesses différentes, deux intelligences sans communes mesures qui forcent encore aujourd’hui le respect des plus grands. Si ElkY est souriant, presqu’athlétique, David, lui, semble harassé. Fatigué des side-bets monumentaux censés le motiver dans ces World Series 2011, des sourires entendus d’une certaine presse qui observe son ancienne amie, Erica Schoenberg, fraichement mariée à Erick Lindgren, passer devant lui sans le saluer, épuisé par la pression financière constante d’une bankroll qu’il a depuis longtemps endommagée aux tables de poker en ligne, aux limites les plus folles, et aux machines à sous ou au craps high-limit.

Si ElkY aborde un visage lumineux en toute circonstance, le visage barré d’un sourire de Joker étrangement avenant, David Benyamine reste le mystère le plus absolu du poker français. A le voir à côté de son ami de toujours, Fabrice Soulier, regarder la remise des prix, on comprend que l’émotion de la performance d’ElkY est véritablement collective. « David est un génie : dès qu’il touche à quelque chose, il y excelle », résumait ainsi Soulier en parlant de celui qui a fait ses débuts à l’Aviation Club de France presqu’en même temps que lui. Pendant de longues minutes, les deux compères ont regardé ElkY recevoir le bracelet des mains du Tournament Director, Jack Effel, et même fredonné quelques couplets de la Marseillaise. Pendant ces quelques fractions de secondes, comme hors du temps, David Benyamine a été à son tour lumineux, transporté par cette victoire qu’il a connue, deux ans plus tôt. Comme si tous ses soucis disparaissaient, comme si ses épaules étaient enfin soulagées d’un poids immense. Se relever, rester toujours ce joueur incroyable, à la clairvoyance absolue, à la réussite quasi-mystique. Cet après-midi, les deux seuls génies du poker français se sont serrés dans les bras, et pendant quelques instants, la magie du jeu a été plus forte que tout.
Jérôme Schmidt

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[Journal Off des WSOP – 2 juillet] Et au 17ème bracelet, il se révéla

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Il y a ces joueurs que beaucoup s’évertuent à détester ou critiquer, mais qui forcent le respect et l’élan amical avec le temps. Phil Hellmuth est l’un d’eux, à la fois GOAT (Greatest Of All Time) du poker de tournoi et scapegoat (bouc émissaire) de la communauté américaine du poker pro et semi-pro. Les amateurs, eux, ne s’y sont pas trompés : il est celui qui les fait vibrer depuis des années, de la grande époque du Binion’s aux nouvelles légendes qui s’écrivent sur le Strip, au Horseshoe situé face au Bellagio. Les cohortes de fans se pressent pour lui demander un selfie personnalisé, nouvel avatar des photos dédicacées cheesy des années quatre-vingt.

Chaque été, Phil Hellmuth positive, puisque c’est désormais son leitmotiv, depuis notamment un livre en guise de manuel de self-improvement où il consacre la positivité en art de vivre, quitte à parfois en faire bien trop sur le sujet. Mais l’homme, derrière les rants et les éruptions de colère qui échappent même au personnage qu’il s’est créé de « Poker Brat », a su intimement rester lui-même : le marketing, chez lui, est surfaciel, comme si son humanité dépassait les vagues tentatives de branding qu’il agite sur les réseaux sociaux (boisson énergisante, shitcoin, hotel casino de Las Vegas, opérateur en ligne… tout y est passé).

Hellmuth aime le poker, il est le poker. Un poker made in America hérité des grandes années pré-Moneymaker, cette époque où les personnages, comme au catch, créés pour les tables télévisées sont devenus des american hero. Simples à comprendre, faciles à anticiper dans leurs réactions, et toujours le coeur sur la main. Il y a le Kid (Negreanu) qui babille sans cesse et sait lire dans les âmes ; le Great Dane (Gus Hansen), qui fait tomber les filles entre deux bluffs improbables, avachi à table ; le sportif glacial (Patrik Antonius) venu de contrées glaciales ; le post-soviétique éruptif (Tony G) qui chambre et agresse ses adversaires ; le Texan, l’intello juif new-yorkais, la bimbo, etc.

Mais ce 2 juillet 2023, Hellmuth n’était plus le Brat, ce pénible grand gaillard en survêtement inamovible de quasi mafieux italien (on pense au New Jersey et ses personnages à la Soprano, tous vêtus de track suits) ; il est le jeune homme qui remportait, les yeux écarquillés son premier bracelet, il y a des décennies en 1989, devenant le plus jeune champion du monde, à 24 ans. 34 ans plus tard, il rafle la mise dans l’un de ces nouveaux tournois ultra-rapides créés par les World Series : un 10 000$ Super Turbo joué en une seule journée. 642 entrées, 800 000$ à la gagne. Et c’est Hellmuth, au même regard ébahi, qui entre une fois de plus dans l’histoire. Au 17ème bracelet accumulé, même ses habituels détracteurs ne peuvent qu’observer quelques minutes de silence : Hellmuth force le respect.

 

 

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[Journal Off des WSOP — 20 juin] Au ban des tricheurs

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Les journées des WSOP se suivent, et se ressemblent parfois. Mais à évènement exceptionnel —un Super High Roller à 250 000$—, shitstorm hors norme oblige. Le « lanceur d’alerte » n’est autre qu’un certain Andrew Robl, joueur high-stakes devant l’éternel, qui allume la mèche alors que le tournoi vient tout juste de commencer : Martin Kabrhel, l’un des joueurs les plus agaçants du circuit, marquerait les cartes lors des compétitions. A l’ancienne : une technique vieille comme le monde que les renards des anciens cercles parisiens ou les sharks des parties de Vegas connaissent par coeur. Une accusation, aussi, vieille comme le monde puisque certains se souviendront que de telles rumeurs couraient déjà sur les parties high-stakes du Dunes puis du Big Game, envers Chip Reese, Amarillo Slim, Puggy Pearson et Doyle Brunson. A l’époque, le « lanceur d’alerte » était un obscur joueur américain qui inondait les forums BBS « rec.gambling » de ses dénonciations jamais véritablement prouvées ni avérées.

Mais dans ce genre de procès médiatique, tout se joue désormais en temps réel, via Twitter. Et la voix de celui qui porte le premier coup —Andrew Robl, donc— compte pour beaucoup dans la crédibilité que l’on peut porter à de telles accusations. Alors que Kabrhel est encore en course dans le 250K, qu’il élimine le paisible Dan Smith, provoquant la colère de ce dernier devant les caméras de PokerGo, les accusations en tricherie fleurissent de plusieurs comptes (Tom Dwan, Galfond, le ‘revenant’ Hugo Lemaire) : oui, Kabrhel triche, marque les cartes en les grattant ou en les « collant » du bout des doigts, et tout le monde le sait depuis bien longtemps dans la communauté. Alors, pourquoi n’avoir jamais rien dit avant ? Certains avancent, complot à l’appui, que ce joueur tchèque habitué des grosses parties du Kings à Rozvadov multiplie les extravagances à table afin de masquer ses tricheries. Tous les joueurs contactés sont, au moins, à l’unisson sur un point : la conduite de table de Kabrehl est insupportable, agressant verbalement les autres joueurs à table, ricanant, se moquant avec flagornerie et cynisme. Tout sauf de la « poker etiquette », même s’il n’est pas le seul à avoir cédé à ce genre de facilités. Et si, suggèrent certain, tout cela n’était pas uniquement du metagame utilisé afin de faire tilter ses adversaires sur le long terme ?

Comme à chaque fois dans ce genre d’affaires, les « vidéos qui prouvent le délit » apparaissent. Tout au plus des clips durant quelques secondes qui montrent en effet Kabrhel en train de frotter une carte. Et alors ? Où sont donc passées ces cartes souillées ? Pourquoi ne pas avoir fait d’enquête depuis tout ce temps si cela était avéré, comme Robl et consorts le disent sans ambage ? Kabrehl se défend, après avoir sauté du 250k (ou, s’être fait éliminé à escient, selon ses détracteurs) : son comportement, quasi-autistique (on imagine en effet assez bien son attitude comme relevant d’un véritable trouble du comportement), n’a rien à voir avec de la triche. Et il poursuivra en diffamation toute personne affirmant le contraire. L’habituel ballet de la dénonce et de la menace de la diffamation peut ainsi démarrer, n’apportant sûrement au final aucune preuve, juste des suspicions plus ou mons étayées car, au final, ceux qui veulent y croire, y croiront toujours. Seuls les imbéciles semblent changer d’avis.

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[Journal Off des WSOP — 12 juin] La revanche des masques

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Parce qu’il n’a pas de place pour la nuance, pas plus que pour l’ironie, les interactions sociales semblent régies par une logique de polémiques intenses en un espace temps-poisson rouge : ce qui choque un jour sera oublié le lendemain, mais pourra revenir de façon encore plus hystérisée dans quelques mois. Le feu aux poudres, cette fois, a été déclenché involontairement par Isaac Haxton, lors de sa victoire haut la main du 25 000$ 8-handed, pour près d’1 700 000$. Un premier bracelet pour celui que beaucoup surnommaient « le meilleur d’entre nous sans bracelet WSOP », et la confirmation que 2023 est une année spéciale pour Haxton, de retour au meilleur de sa forme. Pourtant, sa victoire fait « débat » sur le poker-twitter américain : non content d’atteindre les quelques 35 millions de gains en tournois, Haxton a osé dominer le tournoi avec un masque N95 sur le visage. Comme un crachat à la figure des anti-masques, un affront que peu lui pardonnent.

Leur cause est entendue, et aucun débat serein ne saurait être mené : Haxton est un imbécile qui touche des jetons mais porte un masque à chaque seconde du tournoi ; il n’a pas même la politesse d’enlever son masque sur les photos, ce qui choque le monde entier ; Haxton connaît peut-être les statistiques du poker, mais pas celles du COVID, etc. En réponse, Haxton s’amuse à chaque victoire en partageant les photos, invariablement masquées, de ses trophées et ses millions glanés en un seul semestre de 2023. Une posture presque politique, elle aussi, puisqu’il insiste afin de poser comme cela en « soutient à ceux qui subissent la pression publique afin de ne pas porter de masques ».

Kara Scott, l’une des figures les plus attachantes et intellectuellement brillantes du poker depuis bien des années, est l’une d’elles. Elle qui souffre de soucis de santé récurrents bataille depuis des mois déjà afin de promouvoir une extension du port de masques dans le milieu du poker, ces situations où l’on passe en intense proximité d’autres joueurs du monde entier. Son travail —présentatrice des plateaux WSOP— lui a empêché de suivre à la lettre sa recommandation, et elle a contracté le COVID lors d’un WSOP précédent. Sur Twitter, elle subit elle aussi la meute anti-masque, entre libertarisme américain forcené, complotisme-light et toujours  ce même dangereux mélange de sentiment de supériorité (je sais mieux que toi ce qui est bien) et d’infériorité (je suis mis au ban) qui créé bien des conflits internes.

Au masque comme acte politique —des deux côtés—, s’ajoute une extension du domaine de la lutte : pour les anti, Haxton n’est pas seulement un « pro-mask » honteux, il est bien évidemment un soldat dévoyé de l’idéologie woke
/ukrainienne/lgbtqi+/progressiste (barrez la mention voulue) qui concourt à amener le monde/l’Amérique droit dans le mur. Posant avec son ami Justin Bonomo (démasqué) sur l’une des photos de vainqueur, il aggrave même son cas puisque Bonomo est considéré depuis longtemps par la poker-sphère réac (Mike Matusow en tête, Ryan DePaulo « I’m not a pussy, I don’t wear a mask », etc.) comme un social justice warrior de la pire espèce. Bonomo, le même joueur qui, filmé masqué à table lors d’un tournoi high-roller WSOP osait user de l’ironie (« ils sont tous nuls à ma table, c’est agréable de jouer contre des types qui ne connaissent rien à ce jeu ») en parlant de ses adversaires multi-capés. Une ironie bien évidemment immédiatement attaquée par ses détracteurs, dont la grille de lecture prédéfinie passe au tamis de l’univocité toute déclaration. Des attitudes qui radicalisent le discours et interdisent le dialogue, comme si porter un masque (ou non) en table finale devait faire sujet de société, objet de débat enflammé et story auto-destructible sur les réseaux sociaux.

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