fbpx
Connect with us
center>

Le journal Off du poker

Journal des WSOP (16 juin 2011) : Tout doit disparaître

Published

on

« Las Vegas est une ville sans histoire », se plaît à résumer le philosophe Bruce Bégout dans son essai magistral sur la ville du jeu et du pêché, Zéropolis. Une ville où, à intervalles réguliers, les promoteurs immobiliers décident de raser les casinos trop vieux pour faire table rase d’un passé que beaucoup oublient en quelques jours à peine. A la place, de gigantesques projets de Resorts post-modernes, comme le Cosmopolitan ou l’Aria, tours de verres quasi-corporate qui tranchent avec la vulgarité de parc d’attraction des vieux établissements.

(Voir la vidéo : ici)

A chaque époque, les casinos ont connu des modes. Il y a soixante ans ou presque, en 1952, ouvraient les portes du Casino Sahara, un complexe gigantesque de 8 000 mètres carré, aux 1720 chambres réparties en trois tours de 24 étages. Après-guerre, l’heure est aux casinos thématiques, et l’orientalisme fait fureur : le Sahara succède ainsi au Tangiers, et devient le sixième casino construit sur Las Vegas Boulevard. Son attraction principale ? Un gigantesque roller-coaster, le Speed, qui longe le Strip, et envoie littéralement en l’air ses aficionados, à quelques mètres au dessus du trafic congestionné de cette zone géographique située à mi-chemin entre les casinos du Downtown et les établissements plus modernes du South-strip.
Le temps s’est arrêté au Sahara, un 17 mai 2011. En 24 heures à peine, l’établissement s’est vidé intégralement. Une ville-fantôme coincée dans des murs en stuc blanc. Ce matin, un mois à peine après la fermeture, les repreneurs du terrain ont ouvert une dernière fois les portes le casino pour liquider ce qu’il y restait. Car, dans 8000 mètres carré, tout est à vendre, dans un gigantesque inventaire absurde mêlant tables de blackjack (850$), photographie de Franck Carson (375$) , chaises de bar vidéo-poker (125$), escalier roulant électrique (9970$), tableau de Keno (375$), néons de la poker-room (325$), lits des chambres (115$), compteur électrique de billets ou de jetons (7500$), casiers de sécurité (15$), etc.

Devant l’entrée, massés depuis 5 heures du matin, une queue d’habitants de Las Vegas, venus récupérer quelques lampes au pied en forme de chameau (65$) ou tables de poker abandonnées à même le sol (255$). L’attente est énorme, 6 heures au bas mot, sous le soleil déjà brûlant de Sahara Avenue. A 11h, les premiers évanouissements surviennent : un vieillard, touché en plein cœur par la canicule, tombe à même le sol, relevé par des pompiers de surveillance ; une femme asiatique s’écrase tête la première sur le bitume, inconsciente, et repart sans ouvrir l’œil dans une gigantesque ambulance, direction un des rares hôpitaux publics de Vegas.

A l’intérieur, rien n’a bougé depuis un mois. En se faufilant par une porte de secours, on arrive directement à l’entrée de la poker-room. « A l’époque, il y avait un tournoi quotidien à 19h, un vrai crasphoot à 20$, j’y allais tout le temps », me confie Paul McGuire, journaliste poker et historien de Vegas. « Tous les soirs, il y avait un sans-abri qui se pointait à la pause de 20h30, parce qu’il savait que le casino donnait des sandwichs aux joueurs. Il avait un vieux pass, à un autre nom, et faisait main basse sur une dizaine de sandwichs, dans un grand sac plastique grisâtre. Et puis il repartait. » La salle de poker n’a, elle non plus, pas changé : sous ses néons blafards, les tables démembrées gisent à même le sol, tandis que des déménageurs embarquent les rares chaises en bon état dans un 3,5 tonnes avoisinant. A droite, un grand escalator électrique mène à une salle des fêtes à l’étage. Pendant que les acheteurs sont trop occupés à fouiller à l’autre bout du casino dans le stock de lampes, téléphones, armoires et autres cadres utilitaires, les autres salles sont toutes vides. Au 1er étage, ne reste de l’esprit de fête qu’une grande table vide recouverte d’une nappe blanche. A ses pieds, une maquette : un projet de casino pour remplacer le Sahara. Les piétons y sont miniaturisés à l’extrême, les voitures collées à même le sol et des palmiers en plastique balisent les avenues alentour. Un projet de reconversion qui ne verra jamais le jour, puisque le Sahara, comme son voisin d’antan, le Stardust, sera sûrement dynamité un 31 décembre, rite païen de l’éternel recommencement, puisque d’histoire, à Vegas, on ne se soucie guère. Une vieille dame, au rez-de-chaussée, se lamente : « Ici, on ne sait que détruire. En Europe, vous, vous gardez les vieilles choses, et vous en construisez de nouvelles à côté. Nous, on a peur du passé, on ne veut plus le voir, on se contente de l’effacer. »

Les néons du Casbar Bar (850$) luisent encore faiblement dans la semi-obscurité du casino. Sur cette scène, à jamais désertée, Louie Prima donnait chaque soir un concert dans les années 1950s et 1960s devant le Tout Vegas. Un demi-siècle plus tard, seule une vieille femme vient s’asseoir au rebord de la scène, comme pour revivre ces instants à jamais perdus. Derrière elle, la « cage » de la banque est presque béante : derrière les sigles « Next Window » et « Cashier », les coffres du casino sont éventrés, débordant de liasses factices, de range-jetons et autres sacs en toile de jute pour faciliter le transport des liquidités. Pour la première fois, les joueurs peuvent passer de l’autre côté du miroir aux alouettes, se mettre quelques instants dans la peau de la banque. « Good to be the House, right ? », plaisante un vieux grinder américain venu ressentir les derniers souffles de l’établissement. « Man, I lost so much cash here, and they cannot even make it survive. They’re pricks, just silly pricks… all those fucking promoters, they ain’t deserving nothin’ but despise ! »

Jérôme Schmidt

Continue Reading
Advertisement
Click to comment

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Autres tournois

[WPO Bratislava – journal off] L’odeur du tabac froid

Published

on

Il n’y a pas que la victoire dans la vie. Pas que le rush d’adrénaline de la river miraculeuse, la douce euphorie des triomphes annoncés que rien ne vient trahir. Pas que les billets qui passent de main en main pour finir dans sa poche, pas que les trophées à empiler, les credit-card roulettes jamais perdues, les regards empreints d’admiration, les amitiés nouvelles et éphémères. Il y a la défaite, aussi. La solitude d’un casino à 8h du matin, en pleine semaine, quand les petits-déjeuners offerts par l’établissement sont autant d’incitation à rester encore un peu, histoire de se refaire, de ne pas affronter le ciel grisâtre qui a englouti la ville, ne pas croiser son regard dans les miroirs fumés des couloirs qui amènent vers la sortie.

En arrivant trop tôt ce matin au casino Bratislava, la ferveur de 23h59 s’est éclipsée depuis quelques heures. Les vainqueurs, eux, dorment du sommeil de ceux qui ont vu juste. Ne restent que les joueurs, les vrais joueur, ceux qui se fichent bien de gagner et de décaver. Le parfum capiteux qui flotte dans les casinos et les clubs de jeux du monde entier (une amie, ancienne responsable d’un cercle de jeu parisien, m’avait un jour confié que cette odeur si typique aux établissements de jeux, constituait pour elle une madeleine de Proust olfactive, comme l’odeur du poulet dominical, qui la réconfortait immédiatement, par habitude) a depuis longtemps été dissipé par l’odeur du tabac froid. Au sous-sol, machines à sous sous la forme modernes, roulettes électroniques ou avec  croupier et tables de blackjack accueillent une dizaine d’irréductibles. Des joueurs locaux, habitués de ces wee hours où l’on joue par habitude, manque d’envie, voire lassitude. C’est l’illustration presque plastique de la grande théorie psychanalytique du joueur pathologique : il préfère perdre, afin d’avoir une raison de se plaindre —et donc d’être écouté, réconforté, materné.

La gagne, la ouinne, n’est pourtant pas interdite. Au hasard d’un billet de 50 € transformé en quelques minutes en plusieurs billets verts, on se découvre repartir les poches pleines, laissant derrière nous, très vite, le tabac froid, les mines grises, les cafés tièdes du buffet, les roulettes qui tournent dans le vide. A l’étage, les tournois de poker n’ont pas encore repris. Il faudra attendre midi, et l’arrivée d’une flopée de WIP (icônes télévisuelles, influenceurs, sportifs, etc.) ainsi que de joueurs pros pour que la fête reprenne et puisse battre son plein. Et là, peu importe la gagne tant qu’il y a le fun.

Continue Reading

Autres tournois

[WiPT Paris – Journal off] Comme un joueur

Published

on

Comme un joueur, j’ai cru en mes chances. Cédé à l’ennui de la mi-journée pour buy-in un satellite à 100€, et le gagner, à force de cartes folles.

Comme un joueur, j’ai enchaîné directement par un turbo Day 1 pour le Main Event. Comme un joueur, je suis allé prendre l’air, respirer une dernière fois avant d’entrer dans l’atmosphère de néons blancs et de hangar des salles de tournoi.

Comme un joueur, j’ai enfoncé mon casque, mis en boucle le même morceau lancinant, j’ai dit bonjour au croupier, en anglais ou français selon leur nationalité, j’ai recouvert le babil de mes adversaires des premiers niveaux par un drone en différence et répétitions, j’ai occulté le monde extérieur pour trouver un rythme intérieur.

Comme un joueur, rénégat cette fois, j’ai dû rendre mon accréditation presse au responsable du tournoi, histoire de déiontologie. Comme dans un (mauvais) film policier français, où un flic corrompu dépose pistolet en holster et médaillon de flic sur son bureau, avant de repartir avec son carton vide sous le bras.

Comme un joueur, cela m’a passablement agacé, alors je suis resté concentré. Au lieu d’aller avaler une pizza cartonneuse (18€) ou un « hamburger édition spéciale Johnny Halliday » (26€) dans les rades de cette porte de Paris, j’ai fait le tour à grandes enjambées des autres espaces du salon, pour rester dans ma (toute petite) bulle.

Comme un joueur, j’ai tenté un re-steal en grosse blinde avec une main pourrie (3-8 offsuit), payé debout sur la table par un relanceur avec paire de Dame. Comme un joueur, je suis retombé à une vingtaine de blindes, et j’ai attendu maussade qu’on oublie mes move débiles.

Comme un joueur, j’ai eu trois paires de suite, et comme un joueur, on a fini par me payer, et j’ai triple-up, et je me suis dit que j’étais vraiment le meilleur, et que plus rien ne pouvait m’arriver.

Comme un joueur, j’ai passé le Day 1, je suis entré dans l’argent, et comme un joueur, j’ai regardé le payout des places finales, imaginant ce que je ferais de l’argent vu que je finirais dans le Top 3.

Comme un joueur, j’ai ignoré les injonctions des amis m’enjoignant à « aller me reposer », et au lieu de cela, je suis allé à une fête prévue de longue date. Comme un joueur, je me suis réveillé à 2h30 du matin dans un bar qui passait du métal à 120db, et je me suis dit qu’il était temps de rentrer, peut-être.

Comme un joueur en gueule de bois, j’ai dépensé mes derniers euros en bouteilles de badoit glacée, je les ai bues d’affilée en attendant le début de la deuxième journée de tournoi, mâchonnant deux pommes pour couvrir mon haleine frelatée. Comme un joueur, j’avais envie d’être autre part, et puis a résonné le lancement de cette deuxième journée, et j’ai branché mon casque au téléphone, puis la musique a redémarré, et les premières cartes sont arrivées.

Comme un joueur, Caroline Darcourt m’a pris en photo, et j’étais plutôt content, même si je déteste ces moments, car Caroline a cette empathie qui rend chacun désirable sous son objectif.

Comme un joueur, j’ai fait ami avec mon voisin de table, avant de lui prendre un gros coup, et comme tous les autres joueurs autour, j’ai maugréé à chaque fois que nos tables étaient cassées, et comme un joueur, j’ai foldé, foldé, foldé, puis foldé à nouveau.

Comme un joueur, en huit heures de jeu, j’ai touché une seule paire (de 7, qui touche brelan au flop, et me propulse bien au-delà de l’average), pas une seule main au-dessus d’As-Dame offsuit, et comme un joueur qui regarde les autres joueurs, j’ai du voler la plupart de mes pots, pour attendre un ailleurs plus souriant.

Comme un joueur, j’ai fait le bluff le plus pourri du monde, et comme en face un joueur avait les As en main, j’ai dû faire une horreur pour le sortir. Comme un joueur, j’ai balbutié quelques mots ridicules, car on ne sait jamais comme consoler un autre joueur d’une petite mort imméritée. Comme un joueur, j’ai fermé les écoutilles pour ne pas entendre les moqueries des autres.

Comme un joueur, j’ai attendu et rebondi, j’ai passé un (beau) coup à un semi-pro imbu de lui-même, et je lui ai montré mes cartes car je suis moi aussi un joueur imbu de moi-même.

Comme un joueur, j’ai checké un inconnu après un beau coup, comme un joueur, j’ai écouté mes semblables déverser leurs bad beat, comme un joueur, je les ai entendus se justifier de leurs moves les plus absurdes, comme un joueur, j’ai demandé à mes voisins de table si j’avais bien joué mes mains, histoire de savoir comme eux le feraient.

Comme un joueur, à la pause, je me suis précipité recharger mon téléphone, j’ai fait la queue interminable dans des toilettes saturées, et comme un joueur, j’ai tout fait pour ne pas les entendre parler de re-buy, de tournois high-roller ou de side-events.

Comme un joueur, à environ 100 joueurs left, j’y ai cru encore plus, car j’avais bien au-dessus de la moyenne, car le rythme à table était calme, car j’avais tout le temps du monde et une gueule de bois oubliée dans les effluves de sueur aigre des autres joueurs.

Comme un joueur, j’ai complété un min-raise de la petite blinde, en big blinde, avec 9-10 de coeur. Comme un joueur, j’ai vu apparaître un flop agréable, Dame-Valet-2 offsuit. Comme un joueur, j’ai misé les 2/3 du pot, comme un joueur, mon adversaire, qui avait checké, a payé. Comme un joueur, j’ai vu un turn apparaître, avec rien de plus à l’horizon. Comme un joueur, j’ai check-back pour voir une carte gratuite. Comme un joueur qui voit la lueur au bout du tunnel, j’ai vu un Roi arriver. Et un tapis face à moi. Et comme un joueur avec la deuxième meilleure main possible, je n’ai pas hésité, et j’ai eu une montée d’adrénaline mal identifiée. Comme un joueur qui envisageait de perdre, j’ai payé, et j’ai perdu. As-10 pour une quinte supérieure. Comme un joueur, je viens de vous raconter mon badbeat.

Comme un joueur qui venait de buster, je suis parti l’air vaguement détaché, alors que j’étais agacé, déçu, énervé —contre moi, surtout, mais bien sûr contre le monde entier, car l’enfer, c’est les autres. Comme un ex-joueur, j’ai été toucher mon gain (1750€), et comme un joueur, j’ai fait la liste de ce que cela m’offrirait —une paire de chaussures trop chères, une montre ancienne, un restaurant japonais— et comme un joueur, j’ai rapidement calculé qu’il y en aurait pour bien plus que cela.

photographie Caroline Darcourt pour Winamax

Continue Reading

Autres tournois

[WiPT Paris – Journal off] Tout peut arriver

Published

on

La musique du hasard est celle qui sert de bande originale à tous les casinos, clubs, cercles, clandos, parties privées, écrans d’ordinateurs du monde entier. Elle résonne comme une ritournelle, change en intensité au fur et à mesure que l’odeur de l’argent entête nos sens, se fait plus strident au moment du couperet de la bulle, puis repart en drone lancinant jusqu’à ce que les vraies places payées (voire les places vraiment payées) se découpent dans l’horizon.

Dans la vie, tout peut arriver, non ? A la table de poker, c’est un pré-requis. Prenez Suat Uyanik, hier soir, au Day 1D, façon Turbo, du Main Event de la finale du WiPT. Réduit à quelques jetons, à peine une grosse blinde, ante non comprise, il part à tapis avec 2-10 de pique, contre une paire de Rois. Flashforward, deux heures plus tard, le voilà quasi-chipleader de la journée, sans être passé par la case re-entry. Entre temps, le 10 avait fait brelan, son tapis avait doublé, puis doublé, puis doublé, puis… Le tempo du hasard s’était accéléré, avait réinjecté un peu de vie et de grinta à celui qui s’était déjà levé et avait enfilé sa veste.

Au poker, tout arrive. Des champions multi-médaillés en viennent à quémander des buy-ins pour midstakes. Des As du online, adulés par des générations de spectateurs, sont jetés à l’opprobre publique pour n’honorer aucune dette et piétiner l’honneur de leurs créanciers. Ce qu’on leur reproche, finalement, n’est pas cette attitude moraliste qui vaut que toute dette doit être remboursée. Qui se fiche bien de savoir si Haralabob Voulgaris, quasi-milliardaire du betting américain, a bien été remboursé de quelques centaines de milliers de dollars par Tom Dwan ? Non, ce qui choque, ce qui blesse, ce qui heurte au plus profond de nous, c’est que ces héros tant admirés, ces bluffs fous et si bien construits qu’ils nous ont agités devant le nez n’étaient qu’instants de pure intensité, prélude à la musique bien plus banale du hasard et du (mauvais) coinflip. Si nos héros nous trahissent, en qui peut-on encore faire confiance?

Et demain, une fois que les quelques 500 joueurs (approximativement puisque le record de 3000 inscrits a déjà été dépassé au moment où nous écrivons ces lignes, et que 16% du field se hissera en Day 2, dans l’argent) auront repris leur place, tout arrivera. Des shortstacks d’une demie blinde entameront une remontée fracassante, parfois brisée en plein vols ; des joueurs à l’aise feront le squeeze de trop, se prendront le mur d’une mauvaise « rencontre »/set-up ; d’autres partiront en maugréant qu’ils « avaient l’équité de toutes façons ». Vu que tout peut arriver, autant s’y préparer.

Continue Reading
Advertisement

Buzz

POKER52 Magazine - Copyright © 2018 Game Prod. Design by Gotham Nerds.