Lundi après-midi, dans l’Amazon Room, le clan français était resserré autour de deux tables, tout juste à l’entrée de la salle : seize joueurs, seulement, dans un tournoi souvent lent en action, en variant « split », le Stud 8-or-better 10 000$ World Championship. A chacune de ces tables, deux piliers du poker français, David Benyamine et Antony Lellouche. Plus encore : deux supernova, adeptes des cash-games les plus affolants de la planète, qui ont su imposer leur nom et leur personnalité auprès des très (rares) grands joueurs.
Le poker, Antony l’a appris à l’école, à jouer quelques parties entre amis pendant les récréations avec le fils d’un habitué de l’Aviation Club de France. Et à 18 ans, pour son anniversaire, il a été gambler ce qu’il avait en poche dans un cercle près de l’Etoile. Premiers rush d’adrénaline dans un univers qu’il n’allait plus quitter pendant longtemps. Tout jeune, Antony Lellouche n’a pas uniquement envie de flamber et de mener la grande vie : il veut apprendre, et avec les meilleurs. A cette époque, les cash-game les plus chers d’Europe ont lieu à l’ACF, qui accueille la « grosse table » comme le disent les initiés. Des sommes folles, de riches hommes d’affaire étrangers, des joueurs américains de passage (comme Freddy Deeb, Jeff Lisandro ou Mike Sexton), des Anglais roués à tous les coups (Devilfish en tête) et des espoirs locaux qui savent bien que la route vers le paradis du poker passe obligatoirement par là. De cette époque, beaucoup ont disparu, mais ceux qui ont résisté, combattu la variance et peaufiné leurs jeux, en sont sorti plus fort que jamais.
David Benyamine est l’un de ceux là, passant des nuits entières à connaître les roller-coasters de ces cash-games enfiévrés. Derrière lui, un jeune homme encore anonyme, Antony Lellouche, raide comme un piquet, observant pendant des heures, des journées et des nuits entières, le jeu de Benyamine. Le maître, à table, et l’élève, à quelques mètres derrière, dans une drôle d’éducation quasi-silencieuse, un cursus express pour entrer au niveau ultime du joueur de poker : le high-roller.
Puis, David Benyamine est parti, direction Vegas, et ses (très) grosses parties. De quoi perdre beaucoup, très vite, repasser par la case départ pour remonter une bankroll, et repartir, une fois de plus, à l’assaut. En quelques mois et une centaines de sessions, Benyamine a été accepté au Big Game, au Bellagio. Daniel Negreanu : « C’est le joueur le plus inventif que je connaisse. » Doyle Brunson : « Lorsque j’ai vu David la première fois, j’ai compris qu’il n’était pas une énième étoile filante. » Sam Farha : « Avec David Benyamine, on a toujours de l’action. Le seul problème, c’est qu’il a tendance à gagner les pots. » Rattrapé parfois par le démon du gamble, ce génie qui « transforme tout ce qu’il touche en or » (son ami de 15 ans, Fabrice Soulier) a frolé plusieurs fois la sortie de route financière : machines à sous, craps et surtout poker en ligne, où il perd plusieurs millions de dollars une quinzaine de mois d’affilée. Chaque fois, il relève la tête, décroche un bracelet WSOP il y a deux ans lorsque tous critiquent dans son dos, son poker de tournoi. Fait taire ses détracteurs en pratiquant un poker proche du génie dans High Stakes Poker. Traverse le désert de la variance en courbant l’échine et en s’obstinant.
Antony, lui, s’est assis à la table, prenant le siège laissé vacant par son mentor indirect. Pendant plusieurs années, il survole les cash-games PLO parisiens. Va faire un tour du côté du Maroc, où l’on murmure que la famille royale et quelques riches hommes d’affaires mettraient beaucoup d’argent sur la table. N’hésite pas à faire le tour d’Europe du cash-game. Bien sûr, cela ne passe pas toujours. A Paris, sur une grosse table réputée techniquement facile, il enchaîne les sessions perdantes, échouant set-up après set-up, doutant de son jeu tandis que les observateurs extérieurs remettent plutôt en cause l’équité de la partie. En tournoi, il échoue toujours à quelques places de la victoire, signant plusieurs finales EPT qu’il veut gagner trop vite, trop flamboyant.
Mais cette année, lorsque la table finale à 9 joueurs s’est montée sur la table télévisée ESPN du tournoi Stud-8 10 000$, il n’ y avait plus de maîtres ou d’élèves. Juste deux joueurs français, les plus brillants peut-être de leur génération, en quête d’un bracelet. Deux techniciens concentrés sur leur but, qui n’ont laissé aucun coup, en maintenant la pression. L’histoire voudra que le plus jeune échoue en 9ème place, et l’aîné en 4ème. Et que Phil Hellmuth, vétéran parmi les vétérans, finira une fois encore en deuxième position, à quelques centimètres d’un douzième bracelet historique.
Le trio de tête de l’évènement 9 des WSOP 2025, le 10 000$ Championship de PLO 8-or-better fleure bon les grandes heures du poker télévisé et du début du online : Viktor « Isildur1 » Blom mène les débats à une vingtaine de joueurs restants, talonné par Daniel Negreanu, toujours aussi populaire, et par Joao Vieira, le pro Winamax et expert du online. Petit field de 217 entrants, mais un bracelet au bout, comme toujours avec cess Championship qui n’attirent que les plus grands spécialistes du genre.
La vie sourit parfois toujours aux mêmes : après avoir remporté le plus gros jackpot au Pai Gow en 2023 au désormais vintage casino Flamingo à Las Vegas, comme nous le précisent nos confrères de PokerNews.com, Thomas Zanot, résident de la capitale du jeu, a sorti hier la plus belle enveloppe du Mistery Bounty. Soit un beau chiffre rond de 1 000 000$, pour ce joueur dont les gains au poker excèdent tout juste cette somme jusqu’alors…
Ce n’est pas faute, comme à son habitude, d’avoir agacé tout le monde, et même le staff si calme des WSOP à coup de réflexions sans fin, de trash-talk surjoué et autres antics classiques signés Martin Kabrehl : le pro tchèque manque son quatrième bracelet WSOP, laissant filer Caleb Furth, le dernier Américain en lice du podium, qui décroche plus de 600 000$ pour sa victoire au PLO 5000$ !