Le tournoi heads-up à 25 000$ qui faisait partie des premières grosses compétitions de l’été a tenu ses promesses, comme à presque chaque édition. En couronnant un des « meilleurs joueurs du circuit n’ayant jamais remporté de tournois » (selon nos confrères de Pokernews.com), soit le souriant et populaire Dan Smith, il a une nouvelle fois respecté la tradition du Bon et du Truand — en laissant gagner le Bon. Le Truand, ou en tout cas, le bad cop, c’était son adversaire allemand de la finale, Christoph Vogelsgang. Truand, en fait, pas vraiment. Mais objet d’un shitstorm de la communauté du « poker twitter », oui.
L’objet de cette ire électronique ? Vogelsgang pense trop. Trop souvent. Trop longtemps. La structure du tournoi en devient alors chamboulée, puisque le nombre de mains jouées à chaque niveau devient dérisoire, et que la stratégie change donc de facto.
Avec la diffusion en quasi-direct sur PokerGO des compétitions, les joueurs sont de plus en plus scrutés, décortiqués et, bien évidemment, critiqués. C’est toujours la même mécanique de « pureté » qui entre en jeu, derrière la barrière virtuelle des réseaux sociaux : s’indigner des fautes présumées de l’autre, c’est s’acheter une conscience —ou en tout cas une simili pureté— à bon marché. En ce samedi 4 juin, c’est sur Vogelsgang que c’est tombé ; dans 48h, le « poker twitter » aura surement trouvé une autre victime expiatoire.
Smith lui-même a dédouané, avec élégance, les fautes comportementales présumées de son adversaire finaliste : Vogelsgang analyse tout, et cela prend du temps, selon le vainqueur. D’autres criaient à l’angleshoot aux frontières de la légalité, tandis que les justiciers habituels appelaient à un changement de règle concernant la clock ou un « duel » contre l’impétrant. Des siècles après les duels à l’aube, les rites pseudo-chevaleresques bas du front semblent encore à la mode…
Et pourtant, qu’est-ce que le heads-up ? C’est entrer dans la tête d’un autre. Déplier son cerveau, sa mécanique, ses réflexes, les anticiper, imposer son rythme, mettre « à l’envers » l’autre, puis lui marcher littéralement dessus. Alors, bien sûr, le mouvement peut se renverser, les cartes peuvent devenir folles, mais, souvent, à la fin, c’est celui qui sera rentré dans la tête de l’autre qui l’aura remporté. En prenant la mesure du timing, en devant le maître des horloges, Vogelsgang impose, à sa manière, une temporalité qui fait vriller l’adversaire trop pressé d’en avoir fini. Smith, en l’acceptant et en l’intégrant à son jeu, en reconnaissant le droit de l’autre d’user de toutes ses armes légales et léthales contre lui, a été le seul à inverser la tendance. Et à décrocher son premier bracelet et 500 000$ de gains.