Au cœur de la nuit, ce 6 juillet 2011, Phil Hellmuth a encore échoué. Près du but, si près, même, qu’il a senti le métal du bracelet WSOP contre sa peau, le touchant presque, avant de laisser filer une fois de plus la victoire. Et quelle victoire : celle du 50 000$ 8-game, le tournoi le plus prestigieux de toute cette série des World Series, doté d’un field incroyable et d’une dureté de jeu exemplaire.
En un été, Hellmuth aura à la fois échoué magistralement à 3 reprises en deuxième place de grands tournois, et montré au monde entier qu’il est un joueur d’exception. Et si on aime à dire que l’Europe aime les éternels perdants, les « Poulidor » plutôt que les « Mercx », les losers magnifiques aux vainqueurs falots, l’axiome marche localement, aux USA, pour Hellmuth.
Car, avant les World Series 2011, qui était vraiment Phil Hellmuth ? Un « Brat », une grande gueule, ancien plus jeune vainqueur du Main Event des World Series, qui aura décroché 11 bracelets en No Limit Hold’Em dans sa carrière, un record qu’il veut à tout prix dépasser. Un type à l’égo parfois surdimensionné, qui aime à serrer les mains des politiques et des célébrités de Serie B d’Hollywood, et qui clame haut et fort être le meilleur joueur du monde. Un « fish » en cash-game, un joueur adepte du steaming et du tilt le plus immédiat au moindre coinflip perdu. Un joueur gigantesque qui préfère la position fœtale à table, caché sous des vêtements et des lunettes noires, comme momifié par la hauteur des enjeux.
Mais ça, c’était avant. Avant ses trois tables finales échouées en deuxième place —à chaque fois dans des variantes « exotiques ». Avant son changement d’attitude à table, avant, surtout, les trahisons à foison des grands joueurs de l’écurie FullTilt. Car Hellmuth est un joueur de l’ancienne école, celui qui marché sur l’Orient Express, Johnny Chan, qui a connu la ferveur des victoires au Horseshoe du Downtown, un type qu’on adore détester et déteste adorer, une icône du poker très souvent agaçante, mais entière, humaine.
Pendant tout l’été, Hellmuth a abandonné son personnage, pour se concentrer sur l’essentiel : son jeu. Et hier, dans le heads-up final l’opposant à Rast, il a littéralement marché sur la table, remportant chaque coup, après un moment de flottement qui a suivi le dinner-break. Une machine à gagner qui s’est enrayée, comme toutes les machines de guerre. Trois fois, Hellmuth sera à tapis avec un tirage couleur contre overcard ou paire de l’autre côté. Trois fois, Hellmuth les perdra. Et à la dernière, Rast remportera le bracelet tant rêvé. Un échec, un de plus. Mais beaucoup d’humilité chez Hellmuth, sonné, dans les cordes, ébahi par cette malédiction si favorable. Son seul trait d’esprit : « Tu devrais donner 1 million de pourboire au croupier, Rast », le sourire grinçant.
Car pour Hellmuth, seule la victoire est belle. Et, pour cela, aucun deal n’est possible, malgré les enjeux énormes derrière (les side-bets, bien sûr, mais l’Histoire, surtout) —comme Dwan l’an dernier. Un sport, pas certain, mais une approche du poker en gentlemen, où gagner 1 million de dollars ne compensera jamais la perte de l’absolu.
(Durant l’édition 2023 des WSOP, nous tiendrons, à distance, un « journal off » comme nous le faisons depuis plusieurs saisons, afin de raconter à notre manière une autre vision du plus grand évènement poker de l’année)
L’épreuve a longtemps été un des rendez-vous phare des WSOP : le Championship de heads-up, désormais à 25 000$, a accueilli en ses rangs les plus grands noms du poker au fil des éditions, de Tom Dwan à Phil Ivey en passant par John Duthie ou Jason Koon. Le field, mathématiquement, doit être un multiple : 2-4-8-16-32-64-128-256… En 2023, il s’est arrêté à 64, pour un tournoi 6 étapes, avec 8 places payées. A ce jeu là, tout le monde observait à distance Doug Polk, une des figures les plus bruyantes du TwitterPoker, actif à la fois en ligne avec sa chaîne YouTube faussement polémique et en live puisqu’il possède un des plus gros clubs de poker texan, The Lodge, à Round Rock. Polk a écrit sa légende en étant l’un des joueurs de tête à tête les plus redoutés des tables high stakes en ligne, puis a continué à imposer son nom via les nombreuses polémiques qu’il fait et défait au gré des vidéos YouTube. L’homme n’a que peu de foi, peut planter des couteaux dans le dos de ses amis de la veille ou encenser ses ennemis du lendemain : peu importe l’avis, tant qu’il y a du click.
En arrivant au Heads-Up Championship des WSOP, Polk sortait d’une éprouvante session de cash-game télévisé, diffusé par le Hustler Club Casino. Rincé par les nuits blanches et les « million dollar buy-in » déposés sur la table à force de recaves, il ne semblait plus avoir le jus pour faire grande impression dans une compétition qui demande plus que jamais concentration et analyse de son adversaire. Il venait de louper, en streaming, quelques calls contre des bluffs de riches cryptomillionaires, de se faire essorer par Tom Dwan, ennemi non avoué depuis bien longtemps, et même s’il ne jouait qu’un quart de « sa main » —information révélée à Rob Yong, sur Twitter, qui se demandait combien de pourcentage de leur stack jouaient ces millionaires du cash-game—, Polk semblait à bout. Mais au fur et à mesure des rounds, et des flips 20/80 qui passent (un heureux QQ>>KK pré-flop en demie finale), il a finalement réussi à atteindre le dernier duel, contre le Canadien Chanracy Kuhn. Une dernière marche trop haute pour l’Américain aux 4 bracelets WSOP, qui aura succombé aux calls judicieux de son adversaire aux moments-clés de ce dernier affrontement, front contre front. Polk passera vite à autre chose : un autre gros cash-game, de préférence médiatisé, un autre clash sur la plateforme Spaces de Twitter, une autre polémique sans lendemain. Le clickbait est encore plus addictif que le jeu.
Le vainqueur, en septembre 2022, de l’APO 2500 au Club Circus à Paris, fait la route largement en tête à 9 joueurs restants de l’Event #2 des WSOP, un tournoi à 25 000$ qui a déjà rassemblé le who’s who du poker international, avec 207 entrées au total.
Pour le moment, Hallay a deux fois le tapis du deuxième en jetons et semble se diriger tout droit vers une belle performance…
(Durant l’édition 2023 des WSOP, nous tiendrons, à distance, un « journal off » comme nous le faisons depuis plusieurs saisons, afin de raconter à notre manière une autre vision du plus grand évènement poker de l’année)
Tout est prêt pour l’édition 2023 des World Series Of Poker : des salles immaculées sises au Paris et au Horseshoe (feu Bally’s), en plein Strip de Las Vegas ; une légion de croupières & croupiers, de chefs de partie, de serveuses & serveurs, le doigt sur la couture, attendant les premiers inscrits au tournoi à 25 000$ qui vient ouvrir ces quasi deux mois de compétition ; les hustlers en tout genre qui remontent Las Vegas Boulevard, hantent les bars à vidéopoker des casinos ou exécutent quelques tricks dans les ruelles perpendiculaires, au hasard de l’ombre et de la nuit. Tout est prêt, comme au générique d’une grosse production de cinéma, mais il manque encore le frisson du gamble, celui qui fait chavirer les têtes des pros les plus aguerris ou fait naitre des rêves fous chez les grinders low-stakes d’outre-Atlantique.
Il faut aller un peu plus loin, en Californie, du côté de Los Angeles, pour remonter aux sources de ce qui fait vibrer les observateurs du poker : c’est dans un casino connu uniquement depuis le « scandale du J-4 » qu’ont lieu actuellement les plus gros cash-game de l’histoire du poker télévisé. Le streaming du Hustler Casino Live fait le plein de vues dans le monde entier, malgré un casting un peu redondant, qui force le trait sur les personnalités clivantes —Nik Airball, en gambleur fou ; Doug Polk, en jock énervant et pénible ; des millionaires asiatiques aux fortunes supposées en cryptomonnaie ; Tony G, qui semble parfois jouer scared money ; le très sympathique Rob Yong, en grande gueule humaniste—, la nuit du 30 mai a été riche en émotions avec le retour d’un éternel revenant, Tom « durrr » Dwan. C’est autour de lui que se sont joués les plus gros pots : un call interminable face à un tirage raté de Doug Polk, pour plus d’1,2 millions de dollars ; un bluff contre Polk qui passe tout juste ; et surtout un call incroyable face à Wesley, un gambler d’origine chinoise aux poches sans fond, pour plus de 3 000 000$.
Dès lors, comment se motiver pour le poker de tournoi qui demande rigueur pendant plusieurs jours et de « passer entre les balles » des coinflips à plusieurs reprises ? Ces joueurs high-rollers prendront pourtant surement bientôt un jet privé (où les parties continueront) afin de se poser quelques jours au Big Game du Bellagio, de l’Aria ou du Resorts World ; ils flamberont quelques bullets à 25 000, 50 000 ou 100 000$ (le One Drop For One Million est désormais passé sous l’égide du WPT, organisé en parallèle du WPT Championship de fin d’année), multiplieront les prop-bets afin de pimenter les prizepools à six chiffres qui correspondent à un petit pot de cash-game. Pourtant, à voir la ferveur des vainqueurs des WSOP, à vibrer avec eux au rythme de leur survie et leur triomphe d’un Event pour la première ou la dixième fois, on aura tendance à se placer du côté de ces amateurs et ces professionnels —comme l’indéboulonnable Phil Hellmuth— qui placent l’exceptionnel (la victoire, les bracelets, la singularité, le symbolique) avant le business as usual : ces quelques millions de dollars de plus.